Léman

Chez le voisin qui tient bou­tique de pein­ture, une huile représen­tant un vil­lage du Lavaux une après-midi d’été. Eaux claires, vignes en ter­rass­es, cimes coif­fées et ces vil­lages qui exis­tent encore mais que l’on ne voit plus, cachés comme ils sont der­rière des con­struc­tions hideuses, garages, vil­las, admin­is­tra­tions. Il dresse la toile, en vante les mérites. J’ap­pré­cie. Le prix me con­vient. Ce matin, j’hésite: ma rela­tion avec cette région est ambiguë. D’abord, ce n’est pas la mienne. J’y suis né, j’y ai vécu. Cela ne suf­fit pas. Je ne me con­nais qu’un paysage affec­tif, les Préalpes fri­bour­geois­es entre les Pac­cots et l’Ober­land. Pourquoi? Peut-être parce que, pen­dant les années d’ado­les­cence, il se détachait au loin depuis la ferme famil­iale et qu’à l’oc­ca­sion je véri­fi­ais sa réal­ité en allant jusqu’à lui, pour marcher. Puis il y a autre chose: avoir sous les yeux, au quo­ti­di­en, cette toile, ne cessera de me rap­pel­er que notre pays a été défig­uré, repe­u­plé, trans­for­mé en super­marché, ce qui pro­duit — lire Mau­rice Chap­paz sur le Valais per­met de le mesur­er — une crispa­tion qui a vite fait de tourn­er à l’aigreur.