Pour l’art

Que peut faire de mieux l’E­tat pour détru­ire la cul­ture, ici lit­téraire, que d’aider finan­cière­ment les éditeurs?

Messages

Quoiqu’il se dise au cours de l’échange, la phrase qui tou­jours revient chez Gala est “je dois faire ma valise” et pour moi “où va-t-on?”

Allemagne 5

Changé de cham­bre au Schloss­wirt. “Pourquoi?”, demande Gala. Peut-être à cause d’un habitué, plutôt d’un mani­aque, qui réser­vant réserve “sa” cham­bre. Même étage, porte d’à côté. Avan­tage, empilées sur la table de nuit m’at­ten­dent trois pièces de deux euros.

Allemagne 4

Som­met du Wen­del­stein dans les alpes bavarois­es. Gravi par le train cré­mail­lère les mille trois cent mètres qui sépar­ent la plaine de Bran­nen­burg du piton rocheux. A bord des deux wag­ons, vingt per­son­nes pour un âge cumulé de 1400 ans. Le con­voi glisse à tra­vers la forêt, sur­monte des précipices, coiffe les alpages. A la fin, il entre dans un tun­nel, les pas­sagers débar­quent dans une grotte, emprun­tent un boy­au dans le roc et débouchent dans la lumière, sur une esplanade qui domine trois val­lées. Au fond, des champs en dami­er, des lacs ovales, des vil­lages minu­tieux; au-dessus de vastes pentes aux sap­ins som­bres, puis la pierre, la glace, et au loin, par­cou­ru de nuées, les pics neigeux. De l’e­s­planade où boivent et dînent cent vieil­lards qui, les pau­vres, peinent à marcher jusqu’au comp­toir pour pass­er la com­mande de bière et de saucisse, par­tent des escaliers en tour­bil­lons. D’un côté ils mènent à un promon­toire flan­qué d’une longue vue que l’on ori­ente vers Brecht­es­gaden et le Chiem­see, de l’autre côté à une petite chapelle entouré d’un déam­bu­la­toire qui ouvre sur le vide. De la base au som­met physique, il y a encore une demi-heure de marche qui se fait sur des escaliers creusés, scel­lés (en métal) ou par des tun­nels pié­tons. Qui lève les yeux depuis l’e­s­planade aperçoit à 1800 mètres la boule blanche de la sta­tion météo. L’ex­er­ci­ce de voir, de tous côtés, la tête dans les nuages, est fasci­nant, mais aus­si dif­fi­cile: cette den­telle de cimes posée devant le ciel, ces mon­tagnes coniques qui jalon­nent des fonds lumi­nes­cents, ces avalanch­es de pierre morte, tout cela, devant nous, à portée de la main, à la fois naturel et con­stru­it, échappe sinon à la vue du moins à l’ap­préhen­sion. Comme dis­ait je ne sais plus quel philosophe devant les Alpes, ce qui me fait tou­jours rire, “das ist”.

Allemagne 3

Chas­sé de la ville par les prix des cham­bres d’hô­tel. Trois, qua­tre cent euros la nuit, et tout affiche com­plet! Die Messe! Qu’y mon­tre-t-on? Des BMW, des frigidaires et des tracteurs, du vin et des tur­bines? Presque envie d’aller y voir. Gala s’y oppose. Elle fait bien, comme nous roulons sur l’au­toroute pour quit­ter Munich par le sud, nous remon­tons un embouteil­lage de quinze kilo­mètres. Une par­tie des cham­bres va donc rester vide, les clients dormiront dans leur voiture; les villes-vit­rines, les villes-machines, les tas de choses, quels attrape-nigauds! En octo­bre, de retour de Bel­grade et de Budapest, même sat­u­ra­tion, c’é­tait la fête de la bière. A cinquante kilo­mètres, Rosen­heim n’avait plus un lit à louer. C’est d’ailleurs dans cette direc­tion que nous filons, mais cette fois, à peine ai-je vu le pan­neau je mets en garde Gala: “sort de l’au­toroute, Rosen­heim, c’est rem­pli d’im­mi­grés débar­qués d’I­tal­ie.” Main­tenant, au hasard dans une cam­pagne verte et ordrée, nous com­mençons notre quête des Gasthaus. Arrêt devant une splen­dide ferme à bal­cons de bois et volets sculp­tés. La pente de toit est en tavail­lons, le jardin est plan­té d’un sole, il y a deux bûch­ers… “Récep­tion à par­tir de 17 heures”. Affaire réglée (j’ob­serve d’ailleurs que les journées ou plutôt les nuits en hôtel, c’est général en Europe, sont de plus en plus cour­tes: on vous dit à quelle heure arriv­er, à quelle heure repar­tir, 15h00-10h00, si je compte bien, cela fait dix-neuf heures et, génie robo­t­ique au ser­vice de l’op­ti­mi­sa­tion civile, les bâti­ments les plus mod­ernes sont désor­mais dotés d’un sys­tème de ver­rouil­lage des portes, à l’heure dite de fin du con­trat, votre carte d’ac­cès à la cham­bre se bloque). Gala démarre, nous roulons entre des ter­rains coquets clô­turés de bois ten­dre, les fontaines coulent, les mon­tagnes bril­lent dans le ciel turquoise, un paysage fait pour la pen­sée, un paysage hei­deg­gérien. Seule­ment, depuis que j’ai voy­agé dix-huit mois (années 1990) en changeant chaque soir ou presque de par­age, tenu de négoci­er par­fois des heures pour obtenir un lieu de som­meil faute d’avoir les moyens financiers pour choisir à mon goût, je n’ai plus aucune patience pour ces recherch­es d’hô­tels. Autre Gasthaus. Au tour de Gala. Elle pousse la porte, appelle. Dix min­utes plus tard : “il n’y a per­son­ne”. En début d’après-midi, nous emmé­na­geons au Schloss­wirt de Bran­nen­burg, entre l’église, sa flèche claire, son toit rouge et le château, mas­sif, brun, dressé sur un rocher mousseux. Le bal­con donne sur la ter­rasse de l’auberge, tables avec bancs alignées au pied de la façade, bruit d’eau dans le bassin de pierre, cloches au cam­panile pour le rythme des heures et un kiosque à musique, mod­erne celui-là, avec pour sculp­ture orne­men­tale une clef de sol que Gala aime, que je n’aime pas. En face, dans la mon­tée, une étable qui selon la direc­tion du vent donne l’im­pres­sion de partager la cham­bre avec les vaches.

Supermarché 2

Bien­tôt, j’en­tr­erai en con­cur­rence avec Jar­ry lequel fai­sait livr­er une citerne de vin au pied de son immeu­ble.
-Vous com­prenez, dis-je au placeur de pro­duits, je viens de la mon­tagne, donc je dois savoir si, en général, vous aurez plus de bière…
Ne com­prenant pas, sai­sis­sant une bouteille par le col:
-Là… elle est là.
-Je sais, mais six bouteilles, comptez vous-même, cela ne fait que six litres. Voyez, je les mets dans mon cad­die, votre étagère est vide.
-Oui, bien sûr…
-Eh oui! Alexan­dre, enchan­té.
-Manolo.
-Bien, Manolo, que pou­vez-vous faire pour moi? Car je vais revenir!
L’employé retire l’é­ti­quette du ray­on:
-Je vais aver­tir, et nous allons déplac­er une autre mar­que, pour vous met­tre à dis­po­si­tion de la Skol.
-Prévoyez dix ou quinze bouteilles. Dis­ons pour demain, et ain­si de suite, au fil de la semaine.
-Très bien, je m’en occupe! Alors à demain Mon­sieur Alexan­dre, merci!

Supermarché

File d’at­tente de la caisse de super­marché hier à Puente (jamais plus de une ou deux per­son­nes), j’ai soudain l’im­age d’at­tentes sim­i­laires, le matin, après une nuit à pos­er des affich­es dans Genève ou une fête finis­sant à l’aube, à l’époque où je vivais avec Olof­so dans le quat de Roche. Con­sid­érant toutes choses autour de la caisse, tapis roulant, présen­toir à chew­ing-gums, cad­dies pleins, porte­mon­naies des dames, vit­res coulis­santes, blouse orange de la vendeuse de fleurs, chiens attachés, traf­ic au feu, sur le car­refour des Eaux-vives, “quelle blague!”. Sauf que, moins il y a de gens pour penser ain­si, moins elle est drôle.

Bras 3

“Ces derniers jours, vous vous êtes relâché!” Ce qui dans le jar­gon de la médecin veut dire: vous vous êtes servi de votre main.

Bras 2

Aux urgences à Puente. Atten­dent dans le couloir un vieux Mon­sieur vic­time d’un coup de chaleur et un cou­ple. Un ouvri­er en bleu, la main droite dans la main gauche, mon­tre son doigt sec­tion­né, réparé, et qui peine à cica­tris­er; con­sid­éra­tions catholiques, mêlées de rire, d’ex­cla­ma­tions, de soupirs sonores, mieux qu’un com­men­taire de match de foot­ball dans une salle de bistrot: ” ce que cette vie nous réserve!”, “si Dieu le veut…”,  “voyez, moi, par exem­ple…”, “on est pas grand chose!”. Les autres acqui­es­cent, évo­quant le temps qu’il fait, qu’il ne fait pas, l’hiv­er trop long, l’été trop chaud, puis la porte du cab­i­net s’ou­vre, le cou­ple d’en­gouf­fre. Il ressort et appelle mon nom — j’en­tre. La médecin, m’é­coute et con­state: “il n’y a rien à faire. Atten­dre.” Elle pre­scrit des anti-inflam­ma­toires, me dit d’ap­pel­er le suiv­ant. Or, c’est ce que je voulais: savoir. Ou plutôt: enten­dre un avis (c’est en général l’usage de la médecine). Con­tent du ser­vice dont j’ai prof­ité, je rends son salut à la secré­taire et, venant à la porte de sor­tie, fait demi-tour. A la secré­taire:
-Y a‑t-il quelque chose à pay­er?
-Ah… Mon­trez votre carte d’i­den­tité, je vais faire une pho­to­copie. Voilà.
Des urgences, je vais chercher les anti-inflam­ma­toires. La phar­ma­ci­enne attrape un for­mu­laire. Elle note ma date de nais­sance, mon numéro AVS suisse, mon prénom, mon nom que j’épelle. Ne sachant à quoi cela peut servir, je fais:
-C’est utile?
-Oh oui, ain­si vous payez moins.
En effet, elle emballe la boîte de cachets, y ajoute la pom­made que j’ai réclamée et fac­ture un prix dérisoire. Être bien traité en pays étranger, on ne peut que se féliciter, et à si bon compte! Mais aus­si, il y a de quoi s’in­quiéter — à la fin, quelqu’un doit payer.

Loi

Les forces de police français­es abat­tent un crim­inel arabe qui force un bar­rage puis tente d’as­sas­sin­er un flic. La min­istre de la jus­tice: “ma douleur va d’abord à la famille”. Faut-il que ces gens en charge de la loi aient peur pour défendre d’emblée le crime.