Perdu

A l’aube, le voisin est par­ti escalad­er le Mont Per­du. Mis en laisse dans le jardin de l’église, au-dessus de ma mai­son, voilà six heures que son chien aboie.

Grotte

Longue marche dans les Val­lées occi­den­tales. Mon­tagnes vertes, gris­es, bleues vers Saragosse et la plaine de l’Aragón, pier­ri­ers ruis­se­lants, cimes blanch­es vers la France. A mil cinq cent mètres, la vue porte sur des dix chaînes. De là, nous atteignons un refuge mil­i­taire, puis gravis­sons par un sen­tier des cônes éboulés à la recherche de la Grotte gelée que nous atteignons grâce à un pom­pi­er et une géo­logue qui, plus pru­dents que nous (Arto est en bas­kets, je n’ai qu’un T‑shirt) empor­tent qua­tre litres d’eau, des cram­pons, de la corde, des pio­lets, moyens dis­pro­por­tion­nés comme nous le con­staterons en péné­trant dans la grotte que les chaleurs de juil­let ont débar­rassé de ses sta­lac­tites, cas­cades de glace et ponts de neige.

Marketing

Mod­èle abouti de mar­ket­ing poli­tique, la mise à l’eau en juin de l’Aquar­ius avec à son bord quelques cen­taines d’anal­phabètes africains que les ONGs sous la com­mande des grands marchands poussent vers l’I­tal­ie en sachant que le gou­verne­ment inter­di­ra le débar­que­ment. Répéti­tion du des­tin trag­ique de l’Ex­o­dus et ses 4500 rescapés des camps hitlériens à qui la Pales­tine de 1947, alors sous com­man­de­ment anglais, refuse le débar­que­ment. Mais l’in­stru­men­ta­tion de la sym­pa­thie de nos peu­ples pour ces égarés africains visait un autre but: attir­er les regards sur la nou­velle voie mar­itime ouverte à l’in­va­sion, les côtes andalous­es, ceci quelques jours après la prise de pou­voir à Madrid du par­ti social­iste, dont les troupes sont favor­able à l’im­po­si­tion d’un ordre admin­is­tratif transna­tion­al. De fait, depuis le débar­que­ment en grande pompe dans le port de Barcelone des éner­gumènes de l’Aquar­ius, les arrivées d’en­vahisseurs dans la pénin­sule sont quo­ti­di­ennes, détrô­nant l’I­tal­ie comme pre­mier pays d’en­trée. Tant que nous n’au­rons pas admis que chaque indi­vidu arrivant d’Afrique pour s’in­staller en Europe con­tribue à la déval­ori­sa­tion de notre mod­èle social pour se met­tre inno­cem­ment au ser­vice du total­i­tarisme, nous serons com­plice de cette escro­querie qu’or­donne l’élite tech­nocra­tique — puis ce sera la guerre.

Revalorisation

Ubiq­ui­té élec­tron­ique. Nous sommes, nous ne sommes nulle part. Valeurs sans lieu. Définies dans la durée: con­jonc­tion de prox­im­ité et de lieu. Autres valeurs rénovées, ou plutôt règles élec­tron­iques, fonc­tion du principe d’ubiquité.

Balconing

Luv s’en­volant dans une semaine pour une sta­tion bal­néaire de la Cat­a­logne à l’oc­ca­sion de son pre­mier voy­age adulte, je lui dis:
-Ne tombe pas d’un bal­con, laisse faire les autres!
Et lui enjoins, alors qu’elle me con­sid­ère inter­dite, de se méfi­er d’abord des Anglais.
Ce soir, trois jours après cette mise en garde qui lui parais­sait inepte, El País titre: “Touriste, anglais, âgé de vingt ans, sur la côte espag­nole le “bal­con­ing” se propage.

Contraires

A l’op­posé de la télé­phonie mobile, la famille.

Ici

Réponse générale quand je salue dans la chaleur de l’après-midi un vil­la­geois assis sur un banc de pierre, debout appuyé sur sa canne ou encore une femme au milieu d’un champ d’un “ça va?”:
- C’est ici que nous sommes!

Piscine

Au bout d’une val­lée que sonde une route étroite, sim­ple bande d’as­phalte, à la recherche de la piscine publique dont nous a par­lé la femme du maire, et en effet, passé un pont, nous voyons entouré de som­mets ronds, boiseux, chauds, sauvages ram­pants jusqu’au som­mets pyrénéens enneigés, un bassin en forme de dragée dont nous sommes, sous un para­sol de branch­es sèch­es car l’or­age roule, les seuls baigneurs.

Plus tard 2

Mon plaisir de plus grande jouis­sance est ces jours l’idée de ce que je vais faire, étant libre absol­u­ment de dis­pos­er, lequel plaisir dure quelques sec­on­des, le soir, en cham­bre, à l’ex­tinc­tion des feux, quand j’en­trevois les possibles.

Canyon

Ce matin, près de Biel­sa, tra­ver­sée d’un canyon enfoui au pied du col du Pour­talet. Un sen­tier de forêt débouche sur le tor­rent. Har­nachés, cou­verts, casqués nous entrons dans le défilé. Des tobog­gans nous propulsent dans des trous d’eau, nous grim­pons. Pre­mier saut de cinq mètres, puis un sec­ond à exé­cuter depuis un para­pet. Le guide lève la main pour sig­naler sa posi­tion. Il faut  escalad­er une paroi abrupte et ruis­se­lante. Luv s’in­quiète. Moi aus­si. A enten­dre l’im­pact des corps dans le fond du canyon, la chute se fait de haut; je passe devant, choi­sis de descen­dre les sept mètres en rap­pel plutôt que de me jeter dans le vide (d’au­tant plus qu’il faut sauter devant soi pour ne pas per­cuter le tabli­er évasé qui forme la base de la paroi). Aplo, bien sûr, saute. Le plus mar­rant — si l’on peut dire- c’est que nous sommes accom­pa­g­nés d’un nain. Qui ne man­i­feste aucune peur. Au con­traire de Luv, qui com­mence à s’in­quiéter (à un moment, dira-t-elle l’épreuve finie, j’au­rais préféré représen­ter mon oral de géo­gra­phie plutôt que con­tin­uer). Elle n’est pas seule à s’in­quiéter: quand j’é­tais lance-mines de mon­tagne, je n’ai jamais osé descen­dre des parois “à la valaisanne” — ce qui voulait dire, le corps à l’hor­i­zon­tal et tête devant. Cette fois, le guide est encordé à vingt mètres au dessus d’une fos­se bleue. Je ras­sure Luv (pour me ras­sur­er moi-même): “il ne s’ag­it pas de sauter!” Et j’at­tends mon tour.  Sus­pendu dans le vide, je me laisse gliss­er vers le fond d’eau, les jambes con­tre la façade. Moi qui ai le ver­tige et peur de tout, surtout de ce genre de témérités, je réus­sis même à regarder con­tre le bas où j’aperçois les remous que provoque la cas­cade, mais atter­ris­sant dans l’eau, peut-être parce que le soulage­ment me brouille les idées, je ne parviens pas à me détach­er, plus exacte­ment, je ne trou­ve pas le mous­que­ton qu’il s’ag­it de décrocher pour que le guide, lequel se tient vingt mètres plus haut, en retrait, donc invis­i­ble, puisse remon­ter la corde de sécu­rité. Or, je ne peux pas nag­er, je suis attaché, pas me hiss­er, la roche patine comme un savon, quand aux bouil­lons d’eau, ils m’aveu­g­lent. Un début de panique s’in­stalle. Puis je vois (comme sou­vent) que je cherche une solu­tion com­pliquée à un prob­lème sim­ple car le mous­que­ton qu’il s’ag­it d’ou­vrir est là, juste au-dessus de ma tête. Craig­nant que Luv ne ren­con­tre le même prob­lème, je reste dans le tor­rent et je fais bien: atter­ris­sant, ses cheveux s’emmêlent dans le har­nais — je la dégage. Enfin arrive Aplo, à l’aise comme s’il avait fait cela toute sa vie et de trous d’eau en cas­cades l’ex­cur­sion se pour­suit, le nain allant devant, alerte, les bras déployés comme des ailes de papillon.