Canyon

Ce matin, près de Biel­sa, tra­ver­sée d’un canyon enfoui au pied du col du Pour­talet. Un sen­tier de forêt débouche sur le tor­rent. Har­nachés, cou­verts, casqués nous entrons dans le défilé. Des tobog­gans nous propulsent dans des trous d’eau, nous grim­pons. Pre­mier saut de cinq mètres, puis un sec­ond à exé­cuter depuis un para­pet. Le guide lève la main pour sig­naler sa posi­tion. Il faut  escalad­er une paroi abrupte et ruis­se­lante. Luv s’in­quiète. Moi aus­si. A enten­dre l’im­pact des corps dans le fond du canyon, la chute se fait de haut; je passe devant, choi­sis de descen­dre les sept mètres en rap­pel plutôt que de me jeter dans le vide (d’au­tant plus qu’il faut sauter devant soi pour ne pas per­cuter le tabli­er évasé qui forme la base de la paroi). Aplo, bien sûr, saute. Le plus mar­rant — si l’on peut dire- c’est que nous sommes accom­pa­g­nés d’un nain. Qui ne man­i­feste aucune peur. Au con­traire de Luv, qui com­mence à s’in­quiéter (à un moment, dira-t-elle l’épreuve finie, j’au­rais préféré représen­ter mon oral de géo­gra­phie plutôt que con­tin­uer). Elle n’est pas seule à s’in­quiéter: quand j’é­tais lance-mines de mon­tagne, je n’ai jamais osé descen­dre des parois “à la valaisanne” — ce qui voulait dire, le corps à l’hor­i­zon­tal et tête devant. Cette fois, le guide est encordé à vingt mètres au dessus d’une fos­se bleue. Je ras­sure Luv (pour me ras­sur­er moi-même): “il ne s’ag­it pas de sauter!” Et j’at­tends mon tour.  Sus­pendu dans le vide, je me laisse gliss­er vers le fond d’eau, les jambes con­tre la façade. Moi qui ai le ver­tige et peur de tout, surtout de ce genre de témérités, je réus­sis même à regarder con­tre le bas où j’aperçois les remous que provoque la cas­cade, mais atter­ris­sant dans l’eau, peut-être parce que le soulage­ment me brouille les idées, je ne parviens pas à me détach­er, plus exacte­ment, je ne trou­ve pas le mous­que­ton qu’il s’ag­it de décrocher pour que le guide, lequel se tient vingt mètres plus haut, en retrait, donc invis­i­ble, puisse remon­ter la corde de sécu­rité. Or, je ne peux pas nag­er, je suis attaché, pas me hiss­er, la roche patine comme un savon, quand aux bouil­lons d’eau, ils m’aveu­g­lent. Un début de panique s’in­stalle. Puis je vois (comme sou­vent) que je cherche une solu­tion com­pliquée à un prob­lème sim­ple car le mous­que­ton qu’il s’ag­it d’ou­vrir est là, juste au-dessus de ma tête. Craig­nant que Luv ne ren­con­tre le même prob­lème, je reste dans le tor­rent et je fais bien: atter­ris­sant, ses cheveux s’emmêlent dans le har­nais — je la dégage. Enfin arrive Aplo, à l’aise comme s’il avait fait cela toute sa vie et de trous d’eau en cas­cades l’ex­cur­sion se pour­suit, le nain allant devant, alerte, les bras déployés comme des ailes de papillon.