Conférence

Cette nuit, en rêve, dans un amphithéâtre à demi-plein, l’as­sis­tant:
-Le pro­fesseur est absent, pour­riez-vous don­ner le cours?
-Mm.
-Une sim­ple con­férence.
-Bien… Si c’est spon­tané, je peux vous pro­pos­er, euh, l’his­toire des formes, le con­cept d’ex­pres­sion en méta­physique…
Pas de réac­tion.
-Ou encore l’art abstrait, con­science et esprit…
-Vous n’au­riez pas quelque chose de sérieux?
-Kant? Mais ain­si, spon­tané­ment, non, je ne peux pas.

TP

Travaux de protomassification.

Dérive

Fon­due chez Evola. Sa femme à nou­veau à l’asile de fous. Grande force chez cet homme qui par­le raisonnable­ment de la sit­u­a­tion après avoir ten­té d’y remédi­er avec générosité et amour. Au cours de la soirée, longues inter­ro­ga­tions sur la dérive aber­rante de notre société, sa lâcheté, le sac­ri­fice des acquis. D’ac­cord sur le pre­mier procès entière­ment poli­tique (façon jus­tice stal­in­i­enne) qu’or­gan­ise la France, celui du meur­tri­er du mil­i­tant Clé­ment Méric. Comme chaque fois devant l’ag­gra­va­tion du sché­ma d’ig­no­minie : le dés­espoir et le souhait que l’on touche le fond. Nos sociétés sont entrées en révo­lu­tion: seul terme qui décrit adéquate­ment un proces­sus qui installe un nou­veau par­a­digme en place et lieu du précédent.

Coffre

 L’air con­di­tion­né, c’est la toux, le rhume, la grippe. Nous sommes dans le Gard, il fait trente degrés. Gala a chaud. Moi aus­si. J’ou­vre ma fenêtre, Gala ferme la sienne. Elle ouvre, je ferme, ain­si de suite. Mais avec le vent, nous n’en­ten­dons plus la musique.
-Arrête-toi, dit-elle, je me désha­bille.
L’aire de repos est sat­urée de voitures. Je gare sur une place hand­i­capés. Gala descend, ouvre le cof­fre (il est à cinq mètres du siège con­duc­teur). Les autres voyageurs man­gent, fument, regar­dent le soleil et les poubelles, changent les enfants, se regar­dent, nous regar­dent.
-Tu ne peux pas te chang­er dehors au milieu de ce monde, fais-je à Gala
-Alors je me désha­billerai dans la voiture.
Con­tact. Je démarre, je recule.
-Qu’est-ce qu’ils ont ces imbé­ciles à nous regarder?
-Ce sont des imbé­ciles, répond Gala.
-D’habi­tude, ils ne sont pas si nom­breux. Là, tous nous regar­dent!
J’ac­célère pour engager la voiture entre deux camions lorsque je vois que le cof­fre est resté ouvert. Une porte ver­ti­cale, au-dessus du plan, mod­èle jeep, les affaires prêtes à gliss­er. Je plante sur les freins, me pré­cip­ite avant que le camion suiv­ant ne déboule sur la piste d’ac­cès. Quelques sec­on­des de plus, nous per­dions sacs et valis­es sur l’au­toroute.
-Nom de dieu! Homi­cide par nég­li­gence, ça va chercher dans les com­bi­en? D’ailleurs, j’ai remar­qué, je sais! Jamais tu ne fer­mes les portes. Je les ouvre, tu pass­es. Comme une princesse! Bor­del! Nous allons mourir!

Route

Longue route. A grande vitesse. La voiture est excep­tion­nelle, le moteur puis­sant, les accéléra­tions red­outa­bles. De fait, il en va ain­si pour la plu­part des véhicules qui me précè­dent, qui suiv­ent ou que je côtoie, aus­si ai-je l’im­pres­sion de faire du sur­place. Avec cette idée que si je tourne le volant de cinq cen­timètres sur la gauche ou sur la droite, nous sommes morts.

Retour d’Espagne 2

Au milieu de la nuit je con­state: j’ai oublié les pilules à Agrabuey. Je fais ce cal­cul: appel au médecin (prix nég­lige­able), envoi de la pre­scrip­tion (com­bi­en cela peut-il coûter?), achat dans une phar­ma­cie suisse (Fr. 86.- pour vingt-huit pilules. Il m’en fau­dra deux boîtes), le tout com­paré avec le prix espag­nol soit Euros 8.- (pas de pre­scrip­tion). Con­clu­sion : je viens de per­dre Fr. 185.-. Mais surtout : il va me fal­loir par­ler au télé­phone, atten­dre le cour­ri­er, entre dans une phar­ma­cie lau­san­noise. Gala se réveille.
-J’ai lais­sé mes pilules à Agrabuey, lui dis-je. Donc, j’en passerai.
Pour­tant, cela me tra­casse. Le matin, Gala me les mon­tre. Elles sont où elle étaient, où elles ont tou­jours été, entre le rasoir et le dentifrice.

Retour d’Espagne

Arrivé en soirée à Balaruc chez Mar­tinez où, selon l’habi­tude, je vais chercher la clef du por­tail, ouvre de l’in­térieur, gare entre les oliviers, referme de l’ex­térieur, tra­verse le jardin des curistes et les cuisines de la pen­sion pour retrou­ver le maître d’hô­tel, sa large tête sur nœud de papil­lon et sa chemise noire. “Bon’­soir! Vous man’gerez tan-tôt?”. Gala demande des huîtres et une table au milieu des plantes. Nous allons à la phar­ma­cie. Dix per­son­nes atten­dent debout, de tra­vers, chenu et trem­blant, bronzé et malade. Ce que doit acheter Gala? Dans tous les cas, c’est urgent. Cela, tous les jours, où que nous soyons. J’achète un litre de bière, avise un banc. Sous les pins, un bouliste joue seul. Il pointe et dégage la boule qu’il vient de jeter dans le sable. Lente­ment, fier de son coup, cher­chant à savoir si les pas­sants l’ont vu faire, il récupère alors son jeu, recom­mence. Vise, lance la pre­mière boule dans le ciel. Elle atter­rit à un mètre d’un enfant qui se promène avec son papa. Ni l’un ni l’autre ne réagis­sent. A nou­veau le bouliste pointe, dégage — je bois. “Il y en a pour un moment”, dit Gala du seuil de la phar­ma­cie. Peu importe, je viens de con­duire sept cent kilo­mètres, j’ai les fess­es su run banc, je suis en sécu­rité. J’en prof­ite: je lui demande ces pilules que j’avale chaque matin depuis que je suis vieux (ce qui remonte à la pre­scrip­tion en mai d’un traite­ment “pour faire baiss­er votre pres­sion Mon­sieur Friederich”). A gauche du banc, une bou­tique de chif­fons bigar­rés et pen­de­lo­ques de coquil­lages. Un cou­ple de curiste regarde les robes au ralen­ti. Prob­a­ble­ment font-ils de même tous les jours. Vers la mairie com­mu­niste, une pizze­ria. Lorsque j’ai décap­sulé ma bière, la ter­rasse était vide, une gamine répé­tait des galipettes sur la pelouse. Main­tenant, dix per­son­nes sont assis­es, la fille prend la com­mande. Quand elle ne com­prend pas les clients, elle crie en direc­tion de la salle de restau­rant:  “maman, je com­prends pas!”. Plus tard, nous man­geons l’assi­ette de char­cu­terie et les huîtres, l’en­trecôte et le canard, les fro­mages et la glace sous un palmi­er, dans le jardin aux tortues. Comme je fais observ­er au maître d’hô­tel, “c’est un jardin excep­tion­nel!”, il me répond: “nous n’ar­rosons jamais.”

Dictée

Ren­trée des class­es. De la bière sur les pupitres. Chaque verre est dif­férent. Je cherche le mien. Pour trou­ver ma place, il me fau­dra en out­re crois­er cette infor­ma­tion avec les objets per­son­nels dis­posés sur le pupitre. Quand la chaise est libre, le pupitre net, il me faut encore recon­naître le verre: plusieurs ont la même forme. Le pro­fesseur s’as­soit. Il com­mence la dic­tée. Je prends place. Ne trou­ve pas de papi­er. Devant moi, les feuilles sont pleines d’écri­t­ure. Le pro­fesseur dicte deux, trois phras­es. Tout en cher­chant du papi­er, je répète men­tale­ment. Un voisin me tend un bloc. Il est mac­ulé. Est-ce qu’à la fin de la dic­tée, je pour­rai recopi­er sur un autre élève? Me dis-je. Et tan­dis que la classe tra­vaille, je me représente dés­espéré cette absence de papier.

Vladimir 2

Le 1er juil­let, je fai­sais référence dans une note au dis­si­dent russe Vladimir Boukows­ki, à sa lutte héroïque et à ce texte auto­bi­ographique rela­tant son incar­céra­tion chez les fous pour cri­tique du régime, Une nou­velle mal­adie men­tale en U.R.S.S: l’op­po­si­tion. Il y a quelques années il dis­ait d’ailleurs son inquié­tude face à l’ad­min­is­tra­tion brux­el­loise et ses dogmes anti-démoc­ra­tiques, dis­tin­guant dans cette vaste machiner­ie une réplique du mod­èle sovié­tique des années noires. Il voy­ait juste. La France a franchi le pas ce matin. Dans ce pays, l’op­po­si­tion est désor­mais offi­cielle­ment une mal­adie men­tale. Il ne suff­i­sait pas aux employés locaux du cap­i­tal sac­ri­fi­ciel de nier la race et la reli­gion des immi­grés en référant les meurtres qu’ils com­met­tent sur le ter­ri­toire de l’Eu­rope (et revendiquent sans ambiguïté) à la folie, ils vien­nent d’ex­iger une exper­tise psy­chi­a­trique de Marine Le Pen. Instru­men­tal­isée par les monopoles marchands, l’idéolo­gie col­lec­tiviste installe ain­si la même la ter­reur que la Russie de par­ti unique, engageant les tri­bunaux dans la voie du men­songe et du déni de réal­ité, du fan­tasme et du ressasse­ment des faux sym­bol­es, de la dénon­ci­a­tion des crimes de pen­sée et de la mise à l’é­cart des non-conformistes.

Sommeil

S’en­fouir dans le som­meil non pour y trou­ver un sec­ours mais un oubli aus­si long que le temps.