Pour conserver foi dans nos démocraties, il faut être croyant, ou naïf. Talents qui se conjuguent.
Avocats
Il y a dix jours à La Cala del Moral, j’achète de nuit, à un marchand à la sauvette posté devant le supermarché dix-sept avocats. A l’aide d’une balance à main, il les pèse. Comme lui, je lis 2,450 kg.
-Là, ça fait exactement deux kilos! Deux euros!
Voyant la pièce, il me remercie, ce n’est pas assez, il me sert la main.
-Mettez-les au chaud sur le frigidaire et attendez cinq jours.
Le lendemain, je le croise dans la rue, il accompagne son fils à l’école, et baisse les yeux.
Vision d’un latin
Note du Journal de Miguel Torga, datée du 29 septembre 1950, il est à Lausanne:
“Ces gens finalement, ne doivent pas être heureux. En y regardent de près et avec attention, on observe une sorte d’amertume pétrifiée sur chaque regard. La mécanique sociale fonctionne parfaitement, comme un chronomètre. Reste à savoir si, dans chaque pièce du mécanisme il n’y a pas une nostalgie anarchique et cachée, un cri de révolte étouffé.
Peut-être est-ce une impression personnelle. Mais il viendra un jour, je crois, où sera nécessaire une psychanalyse collective de ce peuple, une radiographie en série de toutes ces vies. Libéré de son geste mécanique et conventionnel, le coucou aura enfin la possibilité de se défouler. De raconter comment, pendant si longtemps, il apus supporter la solitude, au fon du boîtier de l’horloge…”
Six
Ainsi vont les choses, j’ai écrit six livres depuis l’année passée, deux essais, un roman, deux récits, et un… comment le qualifier : en corrections ces jours, Paléodémassificateur est hors catégorie. Ceci pour dire, que dire par écrit ne permet pas, faute d’être publié, d’être lu, ce qui pourrait, quoique j’ai toujours jugé que l’acte d’écrire relevait de la foi, raboter les énergies primitives qui prédestinent à l’art, ici celui de faire des textes, et font de la vie de l’écrivain une vie d’écrivain.
Rêve X
Nombre d’interrogations autour du rêve. Sujet aux occurrence nocturnes les plus étranges, peu enclin cependant à en tirer d’hâtives interprétations, je me suis contenté pendant des années de recevoir, si possible d’enregistrer, puis de transcrire. Or, se multiplient les étrangetés qui m’obligent à faire retour à ce que Jung croyait pourvoir établir sur la transitivité des rêves obsessionnels entre individus généalogiquement liés. Ainsi ma fille Luv, auprès de qui jamais je ne me suis ouvert des mes rêves récurrents, me confie le mois dernier se trouver plus d’une fois par semaine à bord d’une voiture lancée à grande vitesse dont elle ne peut actionner le frein. Il se trouve que si le rêve de l’avion qui tombe, fait pendant plus de trente ans, a cessé de me visiter depuis l’an dernier, celui de la voiture demeure fréquent, et avec les mêmes détails
Agrabuey
Jours de grand calme. Dans le pré au-dessus de la rivière, les vaches. Elles agitent leurs cloches derrière les arbres, les corps sont invisibles. Un bruit métallique dans l’escalier qui conduit à l’église. Je sors. Juan afile sa hache. Plus tard, j’entends débiter le bois. Vers la fontaine, un chantier. Le maire et son ouvrier bâtissent une salle de bains dans les étages d’une maison étroite. Je me couche tard, je me lève tard. Hormsi Juan et sa femme, nul ne passe dans la rue — si, les livreurs qui apportent les cadeaux de Noël commandés sur internet, en tout dix paquets et sept fournisseurs, Madrid, Saragosse, Paris, Pékin, Houston. Et puis mercredi c’est jour d’épicerie. Le camion déboule sur la place, ouvre ses éventaires, les femmes prennent le tour. Alisse va la première, elle a nonante-trois ans. Vers midi, j’achète une seiche géante et un choux fleur au bourgeonnement géométrique, quasi-fractal (même goût que le brocolo). Pendant la cuisine, verre de rouge du Somontano. Le soir, séance de suspensions. J’accroche à la poutre, je chronomètre quatre cent tractions. Enfin, visionnement de deux matchs de MMA (dont l’extraordinaire Gustafsson) et travaux en ligne pour gérer, du fond de mon trou, les réseaux d’affiches.