Les enfants allaient au zoo. Le billet général permettait de voir chiens, chats, pigeons, poules et moutons. Moyennant un supplément, il était permis d’approcher de la vitrine aux reptiles. Tigres, lions et loups étaient réservés aux enfants dont les parents, désignés par le directeur, possédaient l’abonnement premium.
Raconter
Maîtres inégalés de la narration, Hergé avec Tintin, Simenon avec Maigret. Il n’est pas fortuit que l’époque soit la même. Elle succède à la codification du grand roman bourgeois par les Naturalistes, précède la rupture de contrat du Nouveau roman, correspond aussi à la période du meilleur emploi général de la langue française.
Plaisir
Un des grands plaisirs de la vie dont je jouis actuellement et auquel je prend chaque jour un goût plus avancé est de se coucher dans un lit, une chambre, un village, au milieu d’une campagne et de montagnes pleines de silence pour réfléchir dans le noir; lié au premier, cet autre plaisir que m’apporte le sentiment que nul ne viendra me déranger, que je puis aussi longtemps qu’il me plaît faire durer cet état de suspension.
Neige
Chutes de neige importantes sur Agrabuey. Les voisins me prennent à témoin: “de la neige!”. Il la remuent du pied, y mettent la main, la montre. Elle continue de tomber. Un employé municipal, ce qui veut dire qu’il en existe un, passe une petite machine à fraiser. La neige efface bientôt ses efforts. Vêtus comme pour conquérir l’Everest, des touristes aragonais viennent au village avec leurs enfants. Ils rient, jettent la neige en l’air, un moment féérique. Ceux-là arrivent de la ville. La nuit descend, ils y retournent. Place au silence. Et à la neige, encore. Près de minuit les voisins, habituellement ce n’est pas les heures, tiennent, mari et femme, dans notre rue, je ne sais quel conciliabule sur la neige qui vole, glisse, recouvre, et sur les moyens d’agir.
Ethnologie
Interlocuteurs pour qui l’exotisme est l’ingrédient d’une autre intelligence. Ils ont raison, c’est une autre intelligence et sur les bases de la nôtre il est beaucoup plus mal aisé de construire, de persévérer, et pour les chanceux de percer, que de se faire valoir en revendiquant par des effets d’exotisme une intelligence autre dont on ne sait pas même les rudiments.
Avenir 2
A ce point, il faut agir en simplicité. Se délester des charges, désengager ses forces là où elles sont recyclées par des dispositifs qui exigent sans cesse le sacrifice de forces nouvelle. Elargir autour de soi le silence et l’espace, recouvrer dans les recours naturels la confiance native. L’amitié retrouvé du monde est à ce prix. L’énergie existe. Et d’abord pour se défaire de ce que l’on nomme, du matin au soir, et qui n’est que supercherie, la société.
Visa 2
Gala à Genève. Donc par téléphone. Elle appelle, car je ne souscris plus qu’à des permis de communication à points conçus pour des dealers de drogue, lesquels ne font à ce prix rien d’exceptionnel. Pour me dire quoi? A son habitude, rien de définitif ni de précis. “je vais voir lundi…”. “Si quelqu’un se désiste…”. Le voyage est payé. J’ai payé. Il est plus confortable d’être dans la situation de Gala que dans la mienne. D’où ma réaction, furieuse dès que l’on me parle de l’Etat (ce, par tradition familiale, mais surtout depuis que j’ai été appréhendé et menacé de prison à l’aéroport de Cointrin, en partance pour l’Angleterre, pour avoir retiré mon fils de l’école pendant une demi-journée, et rançonné par la police) : “paraît à la première heure, demande à voir le supérieur hiérarchique, insiste, campe, bloque, insulte. Au besoin, roule-toi par terre!” L’appel fini, j’écris encore: “Si ça ne suffit pas, dis-moi le nom du fonctionnaire, je m’occupe de le terroriser!” Car enfin, que l’on m’explique, dans ce grand zoo — sans cages — qu’est devenu Genève, il faudrait, quand on est Suisse, et je distingue avec les gens ayant reçu des passeports suisses, il faudrait un mois pour avoir l’autorisation de s’expédier aux Etats-Unis, que dis-je à New-York, pour cinq jours de vacances?
Mi-chemin
Remonté vers le Nord. Hormis l’autoroute difficile qui passe Grenade, voie à deux pistes chargée de trafic local, six heure d’une longue et splendide traversée des déserts, cette fois sans peur (c’est de moi que j’ai peur). Guadalajara, dans l’Est de la communauté de Madrid, atteint vers les trois heures, j’obtiens ma carte de chambre à la réception de l’hôtel Tryp, chauffée sur ma demande suite aux protestations de Gala il y a quinze jours, et croise comme je m’étais promis de ne plus le faire la passerelle sur le périphérique qui amène dans les hauts fantômes de la ville où je cherche, rageant faute de trouver aussitôt, une pharmacie, achète des comprimés d’aspirine, puis un litre de bière chez ce vieil épicier à boutique sombre, toujours seul, dans sa chaise lointaine, assorti de deux biscuits aux pignons et aux amandes, qu’il pose dans la balance afin de les peser et déterminer une prix de 0,52 Euros. Quelques minutes plus tard, retour dans la chambre, je grelotte sous les couvertures, bois le litre, me sens mal, mange les cachets, me sens mal, respire, regarde la télévision, me sens mal et dors douze heures, avec délire.