Vie des bêtes

Les enfants allaient au zoo. Le bil­let général per­me­t­tait de voir chiens, chats, pigeons, poules et mou­tons. Moyen­nant un sup­plé­ment, il était per­mis d’ap­procher de la vit­rine aux rep­tiles. Tigres, lions et loups étaient réservés aux enfants dont les par­ents, désignés par le directeur, pos­sé­daient l’abon­nement premium. 

Raconter

Maîtres iné­galés de la nar­ra­tion, Hergé avec Tintin, Simenon avec Mai­gret. Il n’est pas for­tu­it que l’époque soit la même. Elle suc­cède à la cod­i­fi­ca­tion du grand roman bour­geois par les Nat­u­ral­istes, précède la rup­ture de con­trat du Nou­veau roman, cor­re­spond aus­si à la péri­ode du meilleur emploi général de la langue française.

Préplatonicien.

Dans le pre­mier vol­ume de ses Papiers col­lés, Georges Per­ros fait cette remar­que amu­sante et moins potache qu’il n’y paraît: “Quelle chance avait Socrate de ne pas avoir à lire Platon!”

Plaisir

Un des grands plaisirs de la vie dont je jouis actuelle­ment et auquel je prend chaque jour un goût plus avancé est de se couch­er dans un lit, une cham­bre, un vil­lage, au milieu d’une cam­pagne et de mon­tagnes pleines de silence pour réfléchir dans le noir; lié au pre­mier, cet autre plaisir que m’ap­porte le sen­ti­ment que nul ne vien­dra me déranger, que je puis aus­si longtemps qu’il me plaît faire dur­er cet état de suspension.

Neige

Chutes de neige impor­tantes sur Agrabuey. Les voisins me pren­nent à témoin: “de la neige!”. Il la remuent du pied, y met­tent la main, la mon­tre. Elle con­tin­ue de tomber. Un employé munic­i­pal, ce qui veut dire qu’il en existe un, passe une petite machine à frais­er. La neige efface bien­tôt ses efforts. Vêtus comme pour con­quérir l’Ever­est, des touristes arag­o­nais vien­nent au vil­lage avec leurs enfants. Ils rient, jet­tent la neige en l’air, un moment féérique. Ceux-là arrivent de la ville. La nuit descend, ils y retour­nent. Place au silence. Et à la neige, encore. Près de minu­it les voisins, habituelle­ment ce n’est pas les heures, tien­nent, mari et femme, dans notre rue, je ne sais quel con­cil­i­ab­ule sur la neige qui vole, glisse, recou­vre, et sur les moyens d’agir. 

Ethnologie

Inter­locu­teurs pour qui l’ex­o­tisme est l’in­gré­di­ent d’une autre intel­li­gence. Ils ont rai­son, c’est une autre intel­li­gence et sur les bases de la nôtre il est beau­coup plus mal aisé de con­stru­ire, de per­sévér­er, et pour les chanceux de percer, que de se faire val­oir en revendi­quant par des effets d’ex­o­tisme une intel­li­gence autre dont on ne sait pas même les rudiments.

Avenir 2

A ce point, il faut agir en sim­plic­ité. Se délester des charges, désen­gager ses forces là où elles sont recy­clées par des dis­posi­tifs qui exi­gent sans cesse le sac­ri­fice de forces nou­velle. Elargir autour de soi le silence et l’e­space, recou­vr­er dans les recours naturels la con­fi­ance native. L’ami­tié retrou­vé du monde est à ce prix. L’én­ergie existe. Et d’abord pour se défaire de ce que l’on nomme, du matin au soir, et qui n’est que supercherie, la société.

Visa 2

Gala à Genève. Donc par télé­phone. Elle appelle, car je ne souscris plus qu’à des per­mis de com­mu­ni­ca­tion à points conçus pour des deal­ers de drogue, lesquels ne font à ce prix rien d’ex­cep­tion­nel. Pour me dire quoi? A son habi­tude, rien de défini­tif ni de pré­cis. “je vais voir lun­di…”. “Si quelqu’un se désiste…”. Le voy­age est payé. J’ai payé. Il est plus con­fort­able d’être dans la sit­u­a­tion de Gala que dans la mienne. D’où ma réac­tion, furieuse dès que l’on me par­le de l’E­tat (ce, par tra­di­tion famil­iale, mais surtout depuis que j’ai été appréhendé et men­acé de prison à l’aéro­port de Coin­trin, en par­tance pour l’An­gleterre, pour avoir retiré mon fils de l’é­cole pen­dant une demi-journée, et rançon­né par la police) : “paraît à la pre­mière heure, demande à voir le supérieur hiérar­chique, insiste, campe, bloque, insulte. Au besoin, roule-toi par terre!” L’ap­pel fini, j’écris encore: “Si ça ne suf­fit pas, dis-moi le nom du fonc­tion­naire, je m’oc­cupe de le ter­roris­er!” Car enfin, que l’on m’ex­plique, dans ce grand zoo — sans cages — qu’est devenu Genève, il faudrait, quand on est Suisse, et je dis­tingue avec les gens ayant reçu des passe­ports suiss­es, il faudrait un mois pour avoir l’au­tori­sa­tion de s’ex­pédi­er aux Etats-Unis, que dis-je à New-York, pour cinq jours de vacances? 

Atteintes

Peu util­isés, cer­tain mots per­daient leurs lettres.

Mi-chemin

Remon­té vers le Nord. Hormis l’au­toroute dif­fi­cile qui passe Grenade, voie à deux pistes chargée de traf­ic local, six heure d’une longue et splen­dide tra­ver­sée des déserts, cette fois sans peur (c’est de moi que j’ai peur). Guadala­jara, dans l’Est de la com­mu­nauté de Madrid, atteint vers les trois heures, j’ob­tiens ma carte de cham­bre à la récep­tion de l’hô­tel Tryp, chauf­fée sur ma demande suite aux protes­ta­tions de Gala il y a quinze jours, et croise comme je m’é­tais promis de ne plus le faire la passerelle sur le périphérique qui amène dans les hauts fan­tômes de la ville où je cherche, rageant faute de trou­ver aus­sitôt, une phar­ma­cie, achète des com­primés d’aspirine, puis un litre de bière chez ce vieil épici­er à bou­tique som­bre, tou­jours seul, dans sa chaise loin­taine, assor­ti de deux bis­cuits aux pignons et aux aman­des, qu’il pose dans la bal­ance afin de les peser et déter­min­er une prix de 0,52 Euros. Quelques min­utes plus tard, retour dans la cham­bre, je grelotte sous les cou­ver­tures, bois le litre, me sens mal, mange les cachets, me sens mal, respire, regarde la télévi­sion, me sens mal et dors douze heures, avec délire.