1 — Notes à recopier.

Rincón de la Vic­to­ria-Lan­jarón. 111 km. Dénivelé, 1695.

Traverseur

Stage de deux jours à San­ta-Ana-Mala­ga. Men­aces et attaques de couteau, puis bâton. Long, douloureux, épuisant, mais telle­ment sym­pa­thique. Le soir, à Rincón de la Vic­to­ria, José déballe mon nou­veau vélo qui arrive des Etats-Unis. Tan­dis que je traduis pour des Hol­landais qui louent des trot­tinettes, il monte les pédales, injecte le liq­uide anti-crevai­son, cal­cule la hau­teur de selle. Devant l’hô­tel, sur le quai, des mil­liers de pas­sants, cou­ples, familles, chiens, enfants, vil­la­geois, coureurs, clochards, cuisiniers, gitans. Dans l’eau, des baigneurs. Sur la place, marché de pois­son et dans­es fla­men­co. Hier, dernier entraîne­ment avec le for­ma­teur israélien, un tir tac­tique en labyrinthe. Aujour­d’hui dimanche, je n’ai fait que dormir et regarder la télévi­sion. Et sign­er, avec l’aide du per­son­nel de la récep­tion, un con­trat de loca­tion pour un apparte­ment à Flo­rence dans le quarti­er de la Piaz­za Michelan­ge­lo. Il s’agis­sait d’im­primer, de rem­plir, sign­er puis scan­ner et ren­voy­er. Pas vu l’ap­parte­ment. Gala non plus. J’e­spère avoir bien lu : désis­te­ment pos­si­ble moyen­nant préavis de deux mois. Demain, pre­mière étape au lever du jour, après avoir ren­voyé les affaires par la poste, Mala­ga-Lan­jaron, 111 km, dénivelé posi­tif de 2000.

Essai

Des hommes, deux femmes. Le Con­seil fédéral. C’est ain­si qu’on me le présente. Restez à l’é­cart, m’or­donne l’huissier. Au groupe, il chu­chote:
- Vous êtes sûrs de ne pas vouloir l’en­ten­dre? Le sujet est tout à fait actuel.
Un des Con­seillers indique que je peux y aller. J’ex­pose alors les thès­es défendues dans mon essai Hom­mema­chine. Le résumé est con­cis mais exhaus­tif. Je m’ap­puie sur Descartes et La Met­trie, la cyberné­tique et les expéri­ences de cham­bres chi­nois­es. Au moment d’ex­pos­er l’é­conomie pure de Menger, je me réveille. Dans un demi-som­meil, je ter­mine la présen­ta­tion et me ren­dors. Plus tard dans la journée, comme si le rêve avait servi de déclencheur, je fais imprimer de nou­velles copies du man­u­scrit et adresse l’es­sai aux édi­teurs que je n’ai pas encore sollicité.

Agenda

Mar­di dernier, dans la soirée, je m’in­stalle à mon bureau avec un sand­wich, j’ap­pelle mon col­lègue de tra­vail à Fri­bourg. Pen­dant la con­ver­sa­tion, je regarde tour à tour le feu, mes pré­parat­ifs de vélo, la rue.
- Tu veux pren­dre note de prochains dates pour les ren­dez-vous téléphoniques? 
J’énonce : le 29 avril, je suis à Huesca, le lende­main à Malaga…
- Attends, dit mon col­lègue, le 29, c’est aujourd’hui. 
Il a rai­son. Il est vingt heures, je suis à Agrabuey alors que je devrais être à l’hô­tel en attente du train du matin. 
Je rac­croche, je cherche. Les bus? Le dernier est par­ti de la ville voi­sine il y a une heure. Chez le voisin, la porte est ouverte, mais il n’y a per­son­ne. Je ques­tionne l’or­di­na­teur. Les tra­jets comme les cham­bres, sept nuits, sont des réser­va­tions fer­mes. J’ap­pelle un taxi de cam­pagne. Pas de réponse. En fin de soirée, je trou­ve une autre com­pag­nie. Le chauf­feur s’ap­pelle Pedro. Nous pas­sons aux poubelle, nous pas­sons le col, nous roulons cent kilo­mètres puis encore trente. Le chauf­feur a trois filles. Nées le même jour. Toutes à l’u­ni­ver­sité. Il aimerait voy­ager. Sa femme ne veut pas. Il a trou­vé le truc. Il est chauve. Il ira à Istam­boul pour une implantation. 
- Vous êtes le can­di­dat idéal, me dit-il, c’est le moment, il vous reste assez de cheveux.
Nous par­lons de la Thaï­lande, de Tor­re­vie­ja (il y pos­sède un apparte­ment), de San Sebas­t­ian (il y pos­sède un appartement.) 
- Pen­dant la crise, j’ai acheté tout ce que je pouvais. 
A Huesca, nous sommes amis.
- Bon Alexan­dre, on fait comme on a dit, dès que je ren­tre de Turquie, je t’ap­pelle et je te mon­tre le résultat.
Con­tent d’avoir rat­trapé mon oubli, je par­le plus et mieux qu’à mon habi­tude. A l’hô­tel Lizana, le patron:
- Ah, c’est vous! Et en taxi! Pour la peine, je vais vous don­ner notre plus grande chambre. 
A l’é­tage, je me retrou­ve avec six lits. 

Désormais…

… cha­cun est cri­tique de ciné­ma: “Mag­nifique moi qui ne penser pas ver­sé une larme mal­gré les com­men­taires qui le dis­ait, j’en n’ait ver­sée plusieurs. Je vous le con­seil. Ce film est plein d’é­mo­tion. je l’ai beau­coup aimé.”

Raison

Ces gens, tous ces gens qui pensent que vous avez tort. Ont-ils rai­son? Ils ont rai­son. Du moins dans la mesure où leur pen­sée se valant de celle des autres garan­tit pro­vi­soire­ment la raison.

Prière

Ce dont nous nous sommes détournés afin de com­pren­dre le monde est le monde. Pro­posé dans sa masse, sa bru­tal­ité, sa com­po­si­tion et sa beauté. L’ac­cepter irré­ductible seul nous per­met de demeur­er dans ce rap­port stupé­fac­tion naturelle qui spir­i­tu­alise notre être.

Anselmo

Pan­tera, dernier groupe de la tra­di­tion hard-rock avant la mise en boîte d’usine.

Hutte

Acquis chez le Chi­nois une cage à oiseau. Comme je péné­trais dans la bou­tique, j’imag­i­nais une cage façon chalet à coucou. En fait, il y avait le choix entre le mod­èle Le Cor­busier, un triste par­al­lélépipède et le mod­èle Con­go —  je le bap­ti­sais ain­si car il évo­quait une hutte. J’ai choisi le sec­ond mod­èle. De retour à la mai­son, je con­sulte l’en­cy­clopédie et je vois que le passereau “acan­tisi­ta roquero”, auquel doit être je crois rap­porté l’in­di­vidu qui vole autour de ma mai­son, bâtit des nids sus­pendus qui ont la forme de la cage-hutte ven­due par le Chinois.

Vélos

Ressor­ti mon vélo “tour du monde”. Un engin épais, au cadre d’aci­er, porte-sacoches et gross­es roues. Le guidon per­met dix posi­tions de mains. Pour l’eau de réserve, j’ai qua­tre sup­ports. Une mécanique suisse, conçues dans les années où notre pays croy­ait dans on armée et livrait des out­ils fait pour con­quérir l’é­ter­nité. Avec ça, il n’y à pas à crain­dre d’a­vancer droit devant soi, par les pier­ri­ers, la boue, les rigoles, les sen­tiers de forêts ou les aplats de neige. J’ai roulé trois heures dans la val­lée de l’Es­per­run et à chaque tour de roue, je me ras­sur­ais. S’il fal­lait voy­ager, je ne voudrais pas d’un autre vélo. Bien sûr, on a un peu le sen­ti­ment de chevauch­er un tank. Il faut du mol­let. Rien à voir avec la vitesse et cette sen­sa­tion aéri­enne que don­nent les nou­veaux vélos de course (la semaine prochaine je tra­verse l’Es­pagne avec un mod­èle à moins de 7 kilos), mais avec des appareils aus­si affinés on se sent un peu nu.