Rêves profonds. Solidité des dispositifs architecturaux. Prise de repères. La reconnaissance technique des lieux se précise. Comme si je me préparais nuit après nuit à la fuite. J’ignore où se trouve la porte mais je sais que le monde où est produit le rêve, en attendant de s’écrouler, branle.
Stabulations
Le quartier compte trois supermarchés. Tous sont des magasins de misère. Etalages déparés et lacunaires, légumes en peine, pain sec. Un fourgon de cantonniers africains s’arrête sur le trottoir, l’un des leurs achète de la bière chaude. Le type est épuisé, il n’y a qu’une caisse, il attendra. Et les prix: astronomiques. A croire que le gérant ajoute des zéros au hasard. Je prends, je repose. De retour à l’hôtel, nous avons cinq cent grammes de viande hachée, des spaghettis avec Gluten (moi), des spaghettis sans Gluten (Gala), un oignon, de la tomate concassée, une tranche de Parmesan. De l’armoire du van je retire une sauce supplémentaire, stockée pour le secours, française, al’arrabiata. Nous cuisinons. C’est mauvais. A ne pas manger. Je renonce à la bolognaise. Je renonce aux spaghettis. Je dis: “ces gens veulent nous affamer”. Produits de grande distribution à l’insecticide, à la farine ukrainienne, aux antibiotiques pour poisson. Pauvres ouvriers, pauvre peuple, pauvre de nous!
Vie lente
Réveil tardif, long café, consultation des nouvelles. Gala dans les étages de l’hôtel afin d’obtenir serviettes et papier sans avoir affaire au service. Les cloches du campanile sonnent encore et encore sous le nid de cigogne, il est bientôt trop tard pour le restaurant, même à l’horaire espagnol deux heures et demie, trois, quatre heures. Lorsque la chaleur retombe, petite promenade dans la rue centrale de Soria, la rue piétonne, l’unique rue puis retour dans la chambre d’hôtel pour le vin et la bière au coucher de soleil.
Soria
Petite capitale, capitale rêvée. Déjà mon sentiment il y a trente ans, lorsque je passais mon été à enseigner l’anglais aux enfants. Deux rues piétonnes flanquées d’édifices historiques et de demeures anciennes que terminent en partie basse la rivière Duero en partie haute le splendide parc de l’Alameda de Cervantès. A bord d’un studio parfaitement dessiné, confortable, silencieux, moderne, logé dans les ruines d’un monastère, à deux pas du centre de la ville.
Soria-camping
Soria ce n’est nulle part, mais alors comment expliquer que les prix des hôtels soient prohibitifs ce soir? Samedi? Pas qu’un samedi dans l’année et ce ne sont pas les vacances! Nous installons le van dans le camping municipal. Orage. Gros orage. Gala a froid. Les voisins sont Hollandais, Allemands, Suisses. Interchangeables. A distinguer en fonction des chiens. Ils commandent au bar des mets lourds en anglais nous commandons en espagnol des mets légers (qui s’avèrent tout aussi lourds).
Soria-campagne
Dormi à la Casona Santa Coloma, dans un village de sept habitants, chez un Argentin. D’entrée (il est 18h00) il dit “la chambre n’est pas prête” et “les autorités exigent désormais toutes sortes de renseignements privés de la part des clients, mettez n’importe quoi, je m’occupe du reste!”. De la chambre, je vois la camionnette et l’infini. Au bout de l’infini, une colline. A son sommet Numance, ancien site celtibère. Monpère m’envoie des images d’Autriche (“tes amis”, écrit-il). Il pleut. Il roule en direction de Budapest. Sept heures qu’il pleut. J’envoie une image de la campagne prise depuis la fenêtre: un paradis. Le soir, un seul autre client dans la salle à manger, une Argentine qui écrit un guide sur les endroits reculés. Le lendemain, au petit-déjeuner, elle en parle aux paysans venus boire un alcool : ils sont gênés.
Etape
A Calatayud, ville petite, sans intérêt, où je suis venu, revenu, à vélo, en voiture, avec Gala, sans Gala et ce soir, une fois de plus avec Gala, parce que Calatayud est sur la route, qu’il y a un bon restaurant, qu’il y a un hôtel avec vue, une vue magnifique sur la Collégiale et le château de l’horloge et partout des cigognes installées dans des nids de branchage gros comme des fagots. Sous un soleil brûlant, entouré de chiens de compagnie à qui les propriétaires font la conversation, entre deux barres de locatifs, à la limite de la ville pour la discrétion, je fais mon programme de sport (équilibre, vitesse, force) puis nous déjeunons chez Escartin, sept plats et deux rouges du cru, le Baltazar Gracián (dont je dois être l’un des rares en ville à avoir lu l’œuvre) et le Langa (dont la cave trône en haut d’une montée roulée sur le vélo de voyage par quarante-deux degrés).