Minorités 2

Les minorités les plus fan­tasques, ani­mal­istes, négroïdes, homo­sex­uels, tireurs, soudain appelées au spec­ta­cle de rue, sont les meilleurs instru­ments con­tre la démoc­ra­tie. Quoiqu’elles mon­trent, fêtent ou revendiquent, elles met­tent en doute les règles con­sti­tu­tion­nelles qui dans nos sociétés définis­sent comme recteur de la lib­erté col­lec­tive la majorité. Posi­tion­nées sur les hau­teurs, ici de verre et de métal, qui n’en dou­tons pas devien­dront à terme cyber-spa­tiales, le cer­cle des dirigeants coal­isés qui pré­ten­dent ordon­ner le monde se réjouit de ce for­mi­da­ble coup de pok­er. Et sait que toutes les divi­sions pro­duites dans la masse cor­re­spond à une aug­men­ta­tion arith­mé­tique de son pouvoir.

Jacques

A bord de ma voiture, grande, grise, mas­sive, j’embarque l’en­fant du vil­lage pour le ramen­er à sa ferme isolée dans la Glâne fri­bour­geoise, quand au loin se des­sine un arbre grossier.
-C’est là, me dit l’en­fant, que Jacques Ches­sex finit ses jours à l’in­su des vivants.
Je me déclare peu intéressé, mais l’en­fant me titre la main. Au pied de la con­struc­tion, je vois qu’il s’ag­it, enchevêtré par le bran­chage, d’un con­teneur uni­versel posé sur un chêne. Un ascenseur nous hisse jusqu’à l’écrivain vau­dois. Passé la porte, nous sommes retenus par ses filles. Elle sont trois et dis­ent: “Notre père nous a telle­ment aimées que nous nous soignons sa mort.” Aus­sitôt, l’en­fant, les filles et l’écrivain, en file indi­enne, sommes placés devant un trou dans le pla­fond que nous avons à escalad­er. Il faut revenir à l’air libre. Gravir l’in­térieur du goulet est périlleux et, je ne cesse de me répéter: “moi qui m’as­phyx­ie”. Or, ne voilà-t-il pas qu’ar­rivée prêt de l’é­vase­ment, à la sur­face du sol qui donne sur l’e­space libre d’un pré — je l’en­trevois–  l’une des filles de Ches­sex, la ben­jamine, s’ar­rête. Elle taille dans un morceau de cuir épais, au cut­ter, un cir­con­flexe, ce que je voy­ant je m’écrie:
-Pas­sage! Pas­sage!
Elle de se retourn­er, offusquée:
-Sans cette pré­ci­sion chirur­gi­cale, il n’y a pas d’écriture!

Régulier

Journées heureuses, quelque peu léthargiques, cepen­dant prof­ita­bles: levé à midi, j’é­tudie l’i­tal­ien, lis La guerre des Gaules, puis m’oc­cupe de la haie (que je tonds au ciseau de cui­sine), après quoi, le génie retrou­vé, Gala cui­sine d’ex­cel­lents Riga­toni. Douze heures de som­meil précè­dent, une heure de sieste s’en­suit. Réveil­lé, je vais chercher notre eau minérale et munic­i­pale, six litres — la nuit tor­ride exige que l’on boive — et enfin (le temps passe vite), quelques livres dis­posés sur le plateau de table au jardin, j’ou­vre des bières Moret­ti et con­tem­ple la nuit.

Langue

En ital­ien, noms sans équiv­a­lent dans l’autre genre: il boia (le bour­reau), l’ostet­ri­ca (la sage-femme).

Compromis

Le corps entier com­mandé par la rai­son, Kant à l’oc­ca­sion se débar­ras­sait de ce prob­lème sim­ple qui com­mande au corps en allant aux putes.

Transitivité

Fac­ulté des indi­vidus sans tal­ent à recon­naître sur désig­na­tion le génie.

Romains

Effet du stoï­cisme sur la vie, on ne peut voir plus loin que les lim­ites héroïques qu’il impose.

Entreprise

Same­di passé, pique-nique pour les employés de Fri­bourg dans la forêt du Bois-de Croix. Venu de Lau­sanne, je peine à trou­ver des glaçons. Après deux échecs en sta­tion-ser­vice le long de la route du Lac, j’en prends vingt kilos à Châ­tel-Saint-Denis que je déverse dans les glacières embar­quées à l’ar­rière de la Dacia. Rue du Jura, près de notre kiosque, je me four­nis en vian­des, puis récupère C. et sa femme, les chefs de dis­trict. A l’heure du ren­dez-vous, nous sommes sous les arbres. Autour des vastes tables de bois, une con­gré­ga­tion de dames vieilles, d’ex­cel­lente humeur, parta­gent un vin blanc à l’oc­ca­sion d’un anniver­saire. De l’une des par­tic­i­pantes, voûtée et chenue, j’en­tends cette phrase qui m’en­chante: “Moi, dans ma ferme…”. Arrivent ensuite de jeunes fêtards et deux les­bi­ennes qui se bec­quot­tent sur un tapis de yoga. Nous avons allumé un feu, posé nos patates. Mais le temps se gâte. Les nuages cèdent, tombe une pluie drue. Les jeunes aban­don­nent. Priv­ilège de l’âge, nous per­sévérons. Comme il se doit, le ciel s’é­claircit. Vient le Pris­on­nier, autre­fois col­lègue de cel­lule de mon papa, puis cet employé que je ren­con­tre pour la pre­mière fois, P. C. Plat, blond, tatoué, mas­sive­ment tatoué, il a sa boucle dans le nez, des cav­ités dans les oreilles, mange “veg­an” et par­le dans les meilleurs ter­mes de la musique out­ran­cière qu’il aime et fait (il est musi­cien), et que j’aime et j’é­coute, bien inca­pable de la faire. Ain­si, dans la lumière finis­sante et l’hu­mid­ité, puis dans le noir, nous buvons  en excel­lente com­pag­nie, jusqu’à minu­it, une palette de Lowen­braü et du Chi­anti. Plus périlleux le retour, seul, en voiture, par l’au­toroute déchirée d’é­clairs à hau­teur de Bulle, le capot frap­pé de grêle. A Lau­sanne, je trou­ve Gala, juste réveil­lée. Nous ouvrons des bouteilles et devi­sons, heureux et désordonnés.

Bonheur

Très heureux ces jours, sans horaire ni règles, et amoureux. Rien de plus souhaitable qu’une vie courante, aux pris­es avec l’aléa­toire, vécue au rythme de ses envies. Ce dont je fais état, par con­traste avec mes jours de dure sagesse, en Andalousie, le plus sou­vent seul, ces dernières années.

Union

Le dégoût qu’in­spire au peu­ple pre­mier, hon­nête, posi­tion­né sur le ter­ri­toire ances­tral, la veu­lerie crim­inelle des pou­voirs coop­tés qui bradent pour un avan­tage de classe l’avenir des habi­tants de l’Eu­rope s’ac­cu­mule si bien ces jours dans les corps qu’il ne saurait tarder à pro­duire un sché­ma néfaste.