Les minorités les plus fantasques, animalistes, négroïdes, homosexuels, tireurs, soudain appelées au spectacle de rue, sont les meilleurs instruments contre la démocratie. Quoiqu’elles montrent, fêtent ou revendiquent, elles mettent en doute les règles constitutionnelles qui dans nos sociétés définissent comme recteur de la liberté collective la majorité. Positionnées sur les hauteurs, ici de verre et de métal, qui n’en doutons pas deviendront à terme cyber-spatiales, le cercle des dirigeants coalisés qui prétendent ordonner le monde se réjouit de ce formidable coup de poker. Et sait que toutes les divisions produites dans la masse correspond à une augmentation arithmétique de son pouvoir.
Jacques
A bord de ma voiture, grande, grise, massive, j’embarque l’enfant du village pour le ramener à sa ferme isolée dans la Glâne fribourgeoise, quand au loin se dessine un arbre grossier.
-C’est là, me dit l’enfant, que Jacques Chessex finit ses jours à l’insu des vivants.
Je me déclare peu intéressé, mais l’enfant me titre la main. Au pied de la construction, je vois qu’il s’agit, enchevêtré par le branchage, d’un conteneur universel posé sur un chêne. Un ascenseur nous hisse jusqu’à l’écrivain vaudois. Passé la porte, nous sommes retenus par ses filles. Elle sont trois et disent: “Notre père nous a tellement aimées que nous nous soignons sa mort.” Aussitôt, l’enfant, les filles et l’écrivain, en file indienne, sommes placés devant un trou dans le plafond que nous avons à escalader. Il faut revenir à l’air libre. Gravir l’intérieur du goulet est périlleux et, je ne cesse de me répéter: “moi qui m’asphyxie”. Or, ne voilà-t-il pas qu’arrivée prêt de l’évasement, à la surface du sol qui donne sur l’espace libre d’un pré — je l’entrevois– l’une des filles de Chessex, la benjamine, s’arrête. Elle taille dans un morceau de cuir épais, au cutter, un circonflexe, ce que je voyant je m’écrie:
-Passage! Passage!
Elle de se retourner, offusquée:
-Sans cette précision chirurgicale, il n’y a pas d’écriture!
Régulier
Journées heureuses, quelque peu léthargiques, cependant profitables: levé à midi, j’étudie l’italien, lis La guerre des Gaules, puis m’occupe de la haie (que je tonds au ciseau de cuisine), après quoi, le génie retrouvé, Gala cuisine d’excellents Rigatoni. Douze heures de sommeil précèdent, une heure de sieste s’ensuit. Réveillé, je vais chercher notre eau minérale et municipale, six litres — la nuit torride exige que l’on boive — et enfin (le temps passe vite), quelques livres disposés sur le plateau de table au jardin, j’ouvre des bières Moretti et contemple la nuit.
Entreprise
Samedi passé, pique-nique pour les employés de Fribourg dans la forêt du Bois-de Croix. Venu de Lausanne, je peine à trouver des glaçons. Après deux échecs en station-service le long de la route du Lac, j’en prends vingt kilos à Châtel-Saint-Denis que je déverse dans les glacières embarquées à l’arrière de la Dacia. Rue du Jura, près de notre kiosque, je me fournis en viandes, puis récupère C. et sa femme, les chefs de district. A l’heure du rendez-vous, nous sommes sous les arbres. Autour des vastes tables de bois, une congrégation de dames vieilles, d’excellente humeur, partagent un vin blanc à l’occasion d’un anniversaire. De l’une des participantes, voûtée et chenue, j’entends cette phrase qui m’enchante: “Moi, dans ma ferme…”. Arrivent ensuite de jeunes fêtards et deux lesbiennes qui se becquottent sur un tapis de yoga. Nous avons allumé un feu, posé nos patates. Mais le temps se gâte. Les nuages cèdent, tombe une pluie drue. Les jeunes abandonnent. Privilège de l’âge, nous persévérons. Comme il se doit, le ciel s’éclaircit. Vient le Prisonnier, autrefois collègue de cellule de mon papa, puis cet employé que je rencontre pour la première fois, P. C. Plat, blond, tatoué, massivement tatoué, il a sa boucle dans le nez, des cavités dans les oreilles, mange “vegan” et parle dans les meilleurs termes de la musique outrancière qu’il aime et fait (il est musicien), et que j’aime et j’écoute, bien incapable de la faire. Ainsi, dans la lumière finissante et l’humidité, puis dans le noir, nous buvons en excellente compagnie, jusqu’à minuit, une palette de Lowenbraü et du Chianti. Plus périlleux le retour, seul, en voiture, par l’autoroute déchirée d’éclairs à hauteur de Bulle, le capot frappé de grêle. A Lausanne, je trouve Gala, juste réveillée. Nous ouvrons des bouteilles et devisons, heureux et désordonnés.
Union
Le dégoût qu’inspire au peuple premier, honnête, positionné sur le territoire ancestral, la veulerie criminelle des pouvoirs cooptés qui bradent pour un avantage de classe l’avenir des habitants de l’Europe s’accumule si bien ces jours dans les corps qu’il ne saurait tarder à produire un schéma néfaste.