“No-fiction”

Pourquoi faut-il en lit­téra­ture ne racon­ter que ce que l’on vit? Parce que nul ne sachant ce qu’il vit, c’est cela qui se nomme fic­tion, le reste n’é­tant que de l’écri­t­ure de scé­nar­istes coupés de l’ex­is­tence personnelle.

Mouvement 12

Grande fatigue, et ce n’est pas faute de dormir (11 heures). Peut-être est-ce l’ef­fet men­tal du demi-par­cours dans l’écri­t­ure d’un texte qui exige du souf­fle. “Naypyi­daw, cité de l’e­space”, sera bien­tôt achevé. Au début du tra­vail domine la crainte, puis vient la sécu­rité, bien­tôt relayée par l’an­goisse de ne pas savoir pour­suiv­re. Tout va bien, ce n’est pas ça. Prob­a­ble­ment la répéti­tion mécanique des jours et de leur con­tenu:  vivants, corps, esprits, leurs rela­tions, leurs paroles, avec la per­spec­tive incer­taine des issues. Et puis le fait que Luv, Mafille, ne ma par­le plus — pre­mière occur­rence his­torique — dès lors que je n’ai pas ver­sé la pen­sion à Olof­so, sa maman (mon salaire étant divisé par trois).

Foi

J’ai dans les pos­si­bil­ités de l’homme cen­tré une foi sans limites.

On

Une ville-machine est cen­sée fonc­tion­ner. Une société-machine est cen­sée fonc­tion­ner. “On”- con­cept à définir — n’a pas cessé de nous répéter depuis trente ans que nous n’é­tions pas une civil­i­sa­tion, qu’il n’y avait pas de langue, pas de races, pas de sexe, pas de cou­tumes ni de cul­ture ni d’his­toire, mais un sys­tème sous con­trôle. Ce matin, où sont les fonc­tion­naires pré­posés à la machine.

Frais

Gala achète de la salade dans une épicerie de mon­tagne. Deux jours plus tard, elle la rapporte.

Fatigué

Si on ne peut accéder au niveau supérieur (il est, avant des­tin famélique, réservé aux religieux), j’avoue que j’en ai assez de voir les mêmes voisins, faire les mêmes prom­e­nades, accom­pa­g­nés des mêmes chiens (inter­dits d’aboiements) et qui n’ont, par décret gou­verne­men­tal, à ce qu’ils pensent, maîtres et chiens, pas le droit de par­ler ni d’aboy­er à l’air libre et donc passent, à qua­tre pattes, la mine basse.

Mouvement 12

Mon­père me dit, “non, pas en Asie ces jours, il s’or­gan­ise une chas­se aux étrangers, la rumeur veut qu’ils soient les respon­s­ables de la mal­adie.” Pré­cisons: ce n’est pas l’avis d’un Suisse noyé au bouil­lon, il a vécu plus de dix ans, avant ouver­ture, au Viet­nam. Mais ne voilà-t-il pas qu’il sug­gère: “va au Maroc!”. De loin la puni­tion élec­tro-cap­i­tal­iste, pro­duit de mon imag­i­naire, plutôt que cet échec cul­turel et humain, fruit de divers­es idéolo­gies vom­i­tives. Après tout, nous autres Européens, méri­tons — oh com­bi­en! — de souf­frir des effets de nos témérités: deux mille ans de domination.

Solidarité

Il y a de grande âmes. Acteurs effi­caces du dis­posi­tif, doués de cette admirable men­tal­ité que j’ad­mire, pom­piers ou infir­mières. Sans honte ni excuse, je n’en fais pas par­tie. Autour, ailleurs, dans les cer­cles d’en­fer, il y a de grands pré­da­teurs. Ils sont à l’oeu­vre. Expliquent, dis­courent. Sans dire, sans se trahir. Minute après minute. Qui sont-ils? Non, ils n’ont pas déclenché la mal­adie, mais ils se ser­vent au ban­quet et tirent la nappe. Que les naïfs se ren­gor­gent: la table va dis­paraître, la qual­ité des mets baiss­er, bien­tôt sera inter­dite la voix au chapitre.

Mouvement 11

Vers l’in­er­tie: tout le jour, je lis sur la Bir­manie et j’écris “Naypyi­daw, cité de l’e­space”. Ensuite, au pied de l’im­meu­ble, je me chauffe puis, comme l’a con­seil­lé le major Gérald de la Légion étrangère (Aubagne), je m’a­muse à pouss­er le mur de l’im­meu­ble et soulève des bouteilles d’eau de 1,5 litres. Enfin, la pre­mière bière dans la main, je réfléchis à cette annonce épou­vantable, la prochaine intro­duc­tion d’une appli­ca­tion — une App- de Con­trôle Total des Corps et des Esprits (CTCE), et d’abord aux con­séquences qu’elle entraîn­era, pour moi la néces­sité de chercher refuge dans le tiers-monde.

Mouvement 10

Drôles les Arabes de l’é­cole hôtelière, filles et garçons logés dans l’an­cien sana­to­ri­um: il y dix jours, j’alig­nais squats et pom­pes, ils jouaient au vol­ley­ball. Peut-être ont-ils vu que j’é­tais vieux — ce que je suis. Ils ont changé la rou­tine. Appor­tant poids, mate­las et chaus­sures, ils démar­rent des exer­ci­ces con­tre la mon­tre. A dis­tance, nous rions ensem­ble tan­dis que les plus paresseux, Japon­ais et Pak­istanais organ­isent un chas­se aux œufs.