Après

Nous vivrons dans l’e­space, présents au monde, inex­is­tants, seuls, con­va­in­cus d’ap­partenir au monde.

Priorité

A enseign­er aux jeunes: le monde n’est pas la société.

Droits de l’homme

Notre peu­ple occi­den­tal, mar­qué jusqu’aux stig­mates par son his­toire, oblitère une réal­ité intime, néces­saire, défini­toire, c’est que l’é­tranger, le con­tra­dicteur, n’a rien à per­dre; ce faisant elle pos­tule que sa supéri­or­ité de fait relève d’un décret divin, ceci quand bien même elle juge aujour­d’hui qu’elle a créé Dieu. Erreur. Entre toutes naïve, cette con­vic­tion péjo­rant l’in­stinct ani­mal fini­ra par bal­ay­er de la terre l’e­spèce émérite et avec elle l’au­gure d’un monde meilleur fondé sur la foi dans l’homme.

Ecriture

Ecrire avec acharne­ment, ent­hou­si­asme, pas­sion, se sachant par­tie de cette équa­tion: de plus en plus de livres, de moins en moins de lecteurs.

Canon

Lilith, pre­mière femme d’Adam, façon­née dans la terre impure, est la maîtresse des suc­cubes, et donc le mod­èle prob­a­ble de la future Eve édénique (aucune men­tion dans la Genèse), ce qui amène à se représen­ter la bible comme un réc­it ouvert (au sens de l’Opera aper­ta d’E­co) dont les per­son­nages prin­ci­paux sont coop­tés dans leur rôle à la faveur d’un arrange­ment de la tra­di­tion orale pluri­cen­te­naire, lequel aurait pu être dif­férent. La fix­a­tion d’un réc­it au détri­ment de ses pos­si­bles révèle ain­si la présence en coulisse de dou­bles non-retenus. Celui qui glane par­mi les per­son­nages et événe­ments ban­nis de la scène éclaire en toute orig­i­nal­ité le déroule­ment canon­ique de l’his­toire des fondements.

Trajet 4

Stocké dans notre apparte­ment sur la mon­tagne, je dés­espérais il y a vingt jours de pou­voir franchir la fron­tière espag­nole depuis la Suisse, sus­pendu aux proféra­tions poli­tiques de ce par­lement de mar­i­on­nettes se valant d’un comité d’ex­perts invis­i­bles (jamais ne fut accep­té la demande de trans­mis­sion au peu­ple des noms de ses mem­bres) pour pro­roger au nom de la défense des corps une panoplie de mesures étouf­fantes, cher­chant une issue à mon prob­lème, joignant d’abord mon édi­teur de Paris pour lui réclamer une let­tre de con­trat pour la tra­duc­tion à l’es­pag­nol de H+, ce qu’il fit aus­sitôt, puis, jugeant que ce n’é­tait pas assez, que les mil­i­taire postés à la sor­tie du tun­nel du Som­port ne liraient pas le français, je pris la déci­sion de con­tac­ter l’his­to­rien R.J., lequel avait en jan­vi­er cor­rigé l’in­tro­duc­tion à la ver­sion espag­nole du livre, pour lui deman­der s’il voulait bien, à con­di­tion que cela ne dérange pas, ne pose pas prob­lème — pré­cau­tions dont je m’en­tourais afin de ne pas le met­tre en sit­u­a­tion embar­ras­sante en cas de refus — me faire par­venir un let­tre pour un ren­dez-vous de tra­vail. Pas de réponse. Dix jours s’é­coulent. Sur la mon­tagne, je suis plus affec­té que je ne veux l’avouer. Il n’ose pas. Il est crain­tif. Nous sommes tombés. Tous. Voilà ce que je pense. Or, au bout du temps, voici sa let­tre. A l’en-tête d’un faux édi­teur, m’in­vi­tant à le rejoin­dre, me sug­gérant de tra­vailler ensem­ble, avec men­tion du texte et date prévue de pub­li­ca­tion. C’est pour moi, à ce jour, la meilleure nou­velle de l’an­née. Cette ami­tié spon­tanée, toute morale, authen­tique engage­ment face à la dif­fi­culté per­son­nelle de quelqu’un dont on se sent proche par les idées, acte que je crois tou­jours uni­versel, qui ne l’est pas et que pour ma part je fais spon­tané­ment, chaque fois que l’on m’en prie, ne serait-ce que pour priv­ilégi­er ce qui doit l’être, la per­son­ne et non les insti­tu­tions, les ensem­bles, les pou­voirs, les coali­tions, ces défaites architecturales.

Cornés

Livres de chevet, qui méri­tent bien leurs noms, que je lis et relis depuis bien­tôt trente ans, et d’abord ces Cahiers de Calaferte dont je trou­ve plus d’une fois les pages cornées selon un sys­tème dou­ble fait pour mar­quer l’im­por­tance du ren­voi, coin ou demi-page, à relire ou à relire absol­u­ment, mais qui, le moment venu, ne dis­ent pas quel para­graphe ou quelle ligne avait sus­cité telle émo­tion ou pareille réflex­ion, en un sens bon signe, signe qu’une lit­téra­ture de qual­ité évolue comme le vivant, qu’elle est tou­jours elle même et tou­jours autre.

Littérature 2

Tou­jours occupé aux cor­rec­tions de Notr Pays. Avancée lente. Tra­vail d’a­gence­ment, de découpe, de for­mat. Ce ne sont plus des cor­rec­tions. Plutôt une réécri­t­ure. Des blocs entiers à polir, à soud­er. Texte peu lyrique. De moins en moins. Rien de sur­prenant: il y a pro­gramme. Vouloir dire. C’est donc un mau­vais texte en ce sens qu’il nie la spon­tanéité créa­tive, défie les lois organiques, penche vers le cérébral. A trop cor­riger, cela est con­nu, on brise la mécanique. Sauf que l’am­biance que je veux ren­dre ici, celle de nos villes en 2020, mélange de gri­saille dur, d’ad­min­is­tra­tion ger­manique et de veu­lerie latine, avec en sus des troupes d’id­iots cul­turels en tête de dis­cours, ne peut faire l’ob­jet que d’un traite­ment à froid. Alors même que je rajoute ici et là quelques lignes de descrip­tion, quelques adjec­tifs, des­sine un peu les per­son­nages. Dans la tra­di­tion lit­téraire locale, les auteurs qui se sont essayés à cet exer­ci­ce de por­traitiste (je pense à Yves Velan ou Düren­matt) ont fatale­ment dû accepter de met­tre leur cœur en tiroir et opér­er avec les instru­ments du chirurgien et du géomètre.

Catogan

Le char­p­en­tier du vil­lage, un homme calme: il est fâché. L’E­tat, dit-il, cette escro­querie. Lui qui passe ses jours sur les toits, brasse du morti­er, élève des chem­inées, cloue des lam­bour­des a dû fer­mer son entre­prise, ren­voy­er ses ouvri­ers, assur­er leur train de vie. Inter­dic­tion de tra­vailler, inter­dic­tion de licenci­er, a décrété le gou­verne­ment. Ne pou­vait-il pas les met­tre au chô­mage? Si. Mais alors, il devait les garder pour six mois à par­tir de la reprise. “Impos­si­ble. En temps nor­mal, je ne sais même pas si j’au­rais un chantier”. Puis sa femme tombe malade. Il la con­duit aux urgences, présente sa carte. Ancien mod­èle, lui fait remar­quer la secré­taire. “Pen­dant que vous soignez, j’i­rai la faire renou­vel­er, fait-il val­oir.” Le bon sens. Dans ces con­di­tions, nous ne soignons pas, rétorque la secré­taire. Or, dans un coin de la pièce atten­dent une magrébine et son gosse. Ils ont la carte eux? demande le char­p­en­tier. Sortez ou j’ap­pelle la police, répond la secré­taire à qui un infir­mi­er prête main forte. “Voilà, on s’est fait avoir! Va racon­ter ça! Les gens ont peur de pass­er pour des fas­cistes. Le gens n’ont plus que ce mot à la bouche. Ici, au vil­lage, pen­dant le con­fine­ment, les patrouilles mil­i­taires n’ont pas cessé. La garde civile écumait cinq à six fois par jour, même la nuit on était pas tran­quilles. Le voisin est sor­ti sur son pas de porte, il a écopé d’une amende de Euros 1000.-”. Si elles ne sont pas fondées en droit, il n’au­ra pas à s’en acquit­ter, lui dis-je. “Je te détrompe, vois com­ment ils procè­dent. Le flic ver­balise au nom du décret san­i­taire, mil euros, si tu protestes, il ajoute mil euros pour entrave à fonc­tion­naire dans l’ex­er­ci­ce de ses fonc­tions, c’est leur for­mule. Ensuite, ça remonte à Madrid. Là, les poli­tiques font le tri. Ceux qui ont résisté sont fichés. La pre­mière amende est aban­don­née, pas la deux­ième”. Avant de ren­trez chez lui, il me dit encore l’air inqui­et, l’air dégoûté: “cette sit­u­a­tion à révélé à eux-mêmes ces car­ac­tères per­clus de frus­tra­tion, envieux, péjorés, tout un per­son­nel aigri, cer­tain mil­i­taires, eux, ont sauté sur l’oc­ca­sion, trahi leur vraie nature, exé­cuté spon­tané­ment la basse besogne du gou­verne­ment. Tu sais ce qu’a déclaré le vice pre­mier min­istre, le com­mu­niste Igle­sias? Que tous les biens des indi­vidus apparte­naient à l’E­tat, que l’E­tat pou­vait en dis­pos­er à son bon vouloir”.

Fontanelle

Sur la mort: “Il est temps que je m’en aille car je com­mence à voir les choses telles qu’elles sont.”