Les drogués qui échappent à la mort par intoxication ont leur sujet de prédilection: la manipulation de l’esprit. Aussi affirmatifs que décousus, mais toujours “clairvoyants”, les propos qu’il rabâchent attestent de la manipulation.
Départ
Loué par internet un stationnement sur un terrain vague de la périphérie de l’aéroport de Madrid-Barajas. A la réception du van, une famille de Sévillans, sept personnes avec la grand-mère et les petits-enfants, s’inquiète auprès de l’employé : « comment rejoindre la porte d’embarquement pour notre vol, il est écrit ici qu’elle ferme à 10h10? ». Je consulte l’heure : il est 9h54. Après avoir garé et débranché le van (il restera 45 jours sur ce terrain), je reviens avec mon sac à dos à la réception. Les Andalous sont toujours là. A 10h00 ils embarquent à mes côtés dans la navette. Devant le terminal, la mère des petits prend la direction du groupe et dit : « on ne s’arrête pas jusqu’à avoir atteint la porte ».
Étape
Rangé le van dans le parking de l’Area 112, près de Guadalajara. Sur ce plateau logé entre les déserts de Calatayud et la vallée de Madrid, les nuits sont glaciales. Je prépare mon lit pour la nuit, je mange à la cafétéria, un édifice qui rappelle les “road movies” des années 1970: surmonté d’une enseigne de néon, il a été moderne. Les serveuses portent l’uniforme, elles se relaient selon la règle des 3/8, préparent d’épais sandwichs à la viande, donnent du « cariño » et du « mi amor » aux routiers. La cafétéria Area 112 est ouverte du dimanche au lundi et 24/24. Adossés aux déserts, les camionneurs dorment sur une portion de parking réservée. Tourné vers Madrid, je suis seul, à l’écart. Une voiture de patrouille roule au pas. C’est la garde civile: une ronde par heure. Effet du désœuvrement dans cette région parmi les plus vides d’Espagne. La voiture ralentit à ma hauteur et repart – j’en conclus que les gardes n’ont pas d’ordinateur de bord, qu’ils n’ont pas su vérifier mes plaques. Des semi-remorques manœuvrent. Je finis mes bières, je me couche. Sur la case contiguë des voyageurs ont organisé un feu. N’est-ce pas extraordinaire : faire un feu, à l’étape, le long de l’autoroute? J’éteins. Coucher de soleil jaune et rouge sur paysage sans fin — le trafic nocturne se déverse vers la capitale.
Librairie
Cela a commencé il y a six mois. La librairie se trouve dans la ville moyenne de Lausanne, entre la cathédrale et la gare; tout en sachant que je rêve, je me souviens qu’il existe dans l’angle d’une rue pavée une librairie d’ancien. Les étalages de livres sur table visibles à travers la vitrine ne sont que déception et ne méritent pas que l’on s’y attarde, surtout des “paper backs” américains, cette ignominie. Mais un escalier en colimaçon mène à un sous-sol qui contient de vrais livres de littérature et une grande quantité d’essais. Tout en m’acheminant par la ville, ce sont ces livres dans le souterrain que je me représente. Or, arrivé dans la rue pavée, je constate que la librairie a déménagé ou qu’elle n’existe plus. Le rêve déroule ses scènes dans cet ordre, sans grandes variations, plusieurs mois de suite. Au début de l’hiver, il évolue: je me représente la librairie et ses promesses, mais je sais qu’elle n’existe plus et le rêve prend alors une autre direction. Hier (dans le rêve), je me trouvais dans le quartier de la librairie. Comment je le savais? Impossible à dire puisque je me trouvais à bord d’une ascenseur, occupé à remonter d’un parking en profondeur. L’ascenseur s’arrête, la porte coulisse. Ce n’est pas mon étage mais se tient devant moi, au fond d’un couloir, un adolescent qui règle son téléphone. Je lui fais signe: “tu montes?”. En même temps, je pense: je devrais me méfier. Il a un coquard sous l’oeil droite, une sorte de tumescence provoquée par un coup et j’observe: “normal qu’il se méfie”. D’ailleurs il répond: “non, je ne monte pas”. L’ascenseur repart et cette fois quand la porte s’ouvre je suis au niveau du souterrain où se trouve la section de la librairie réservée à la littérature. Un fille me dit: “je suis pote de la charia”. A quoi je réponds: “je vais voir les livres”. Elle corrige, “vous n’avez pas compris, je suis pote de chanaria!”. Ah, me dis-je, voilà qui vaut mieux! J’entre dans la librairie songeant : profite de ce que tu l’as trouvée pour regarder tout ce qui t’intéresse, la prochaine fois elle ne sera peut-être pas là.
Surréalisme
Avec le recul apparaît (en filigrane, pour celui qui enquête dans les biographies et dans les textes) le schéma de cooptation, les copinages, et la terreur et les pressions (Breton d’une part, Aragon de l’autre) au sein de ce mouvement “intéressé” : ne reste que quelques grands, souvent les moins connus, qui expriment du génie dans leur œuvre et du talent dans la vie, Max Jacob, Tristan Tzara ou encore Max Ernst.
J’aime (Leiris)
“L’annonce d’une représentation à laquelle on me mènerait me jetait dans la fièvre; d’avance je supputais tout ce qui se passerait; j’apprenais par cœur le nom des chanteurs; je ne dormais pas la nuit d’avant, je bouillais d’impatience pendant toute la journée, mais peu à peu, à mesure que l’heure approchait, je sentais une pointe d’amertume se mêler à ma joie et, sitôt le rideau levé, une grande partie de mon plaisir tombait, car je prévoyais que dans peu de temps la pièce serait terminée et la considérais en somme comme virtuellement finie du fait qu’elle avait commencé. Il en est de même aujourd’hui pour toute mes joies car je pense aussitôt à la mort []” “L’âge d’homme”, Michel Leiris.