A partir d’un certain nombre de possibilités de choix l’information nécessaire à la fixation du choix n’est plus disponible de sorte que c’est la prescription qui en limitant la possibilité de choix la surdétermine. Dès lors, il est logique de penser que les autres possibilités de choix ne sont peut-être pas réelles. L’I.A. pourrait modifier cet état de faits mais en évaluant toute l’information disponible avant de réduire le champ voire de prescrire le choix elle nous priverait de notre libre-arbitre dans le même temps qu’elle prétend y contribuer.
Guatemala-ciudad
Depuis la gare El Trebol, bus bondé pour le lac Atitlan. J’allais à Antigua, mais un cortège de Semaine Sainte occupe les rues, le chauffeur de l’aéroport pense que cela peut prendre une journée. Tandis que le bus multicolore piloté par un chauffeur à chapeau large souffle des gaz noirs dans les embouteillages montent successivement à bord un homme de Dieu (bible à la main il délivre un sermon sur le thème du temps, bénit les voyageurs, descends du bus, monte dans un autre bus), un vendeur de chewing-gum Trident, un fruitier, un cancéreuse qui mendie pour son traitement et deux personnages extraordinaires: le premier raconte sa vie avant que d’exhiber une pèle-agrumes et de faire une démonstration de coupe sur un carotte de grande taille, tout un art quand je dois, assis, me tenir pour ne pas être éjecté dans le couloir et un vendeur d’élixirs, doué pour le boniment, qui fait passer entre les voyageurs une bouteille de 1 litre de Sang de taureau. Nous quittons la capitale par des pentes verticales avant de plonger dans la vallée suivante. La vitesse de conduite est folle. La musique empêche de se parler. Les fenêtres tremblent. Des femmes en habit indien cuisinent sur le bord de la route. Les camions ahanent, les motos dépassent. A Solola j’achète une ceinture de cuir et mange un poulet. Le soir, sur le lac d’Atitlan, à Panajachel, je rejoins la foule occupée à déambuler entre des milliers de cahutes installées sur le limon des berges.
Peten Itza
Chambre à Flores chez une famille. Le balcon de bois donne sur une rue inondée. D’abord, j’ai cru que c’était le lac. Mais il y a les réverbères, les bancs, le muret, les poubelles. Tout cela baigne dans un demi-mètre d’au. Plus tard, le capitaine de la “lancha” qui me balade sur le lac dit qu’il faudra cinq ans pour que le niveau baisse. Le cyclone date de l’an dernier. D’après lui, il ravage la région tous les vingt ans. Avantage, il n’y a plus de transition entre le quartier bas de la vieille ville et l’eau. Lorsque je prends mon petit déjeuner, j’ai les pieds dans l’eau, lorsque la “lancha” me dépose je m’assieds aussitôt sur un tabouret de bar. C’est un box de garage collé à une épicerie, les bouteilles passent par un guichet. Boire ainsi de la Gallo rouge devant le pont de Flores est un plaisir. Au Mexique, il faut fréquenter les grottes pour avoir droit à une Doble XX. A la table d’à-côté (il n’y en a que deux), des fonctionnaires saouls. Déjà là quand je suis monté à bord de la “lancha”: un garde forestier, un pompier, un policier et un type qui porte de grosses lunettes. Ce dernier offre les tournées. La cadence est sérieuse. L’écran de télévision passe du hard-rock en boucle avec un accent sur la carrière de Iron Maiden. La veille, j’ai traversé le Belize en “colectivo” depuis Chetumal-Mexique. Quatorze heures de voyage avec une halte dans l’étrange capitale proto-Africaine et le passage des postes frontières à pied — je suis fatigué. Après trois Gallo, je fais la sieste dans la chambre amphibie. Au crépuscule, de retour dans le bar-épicerie. L’équipe des fonctionnaires est toujours là. L’écran aussi: Pantera, Motley Cruë, Van Halen. Le garde forestier chavire. Les autres buveurs le rattrapent. Le garde forestier se lève, entame un discours, se cogne aux murs. On le rassied. Je rejoins la tablée, j’offre une tournée de limonade au Gin. Le garde forestier veut que je vienne voir sa jungle. Son frère (le pompier) le calme. Je prétexte un coup de téléphone pour m’éloigner quelques minutes. Au bord du lac, le capitaine de la “lancha” me dit: “depuis que nous sommes partis sur le lac? Non, bien avant, ils n’ont pas bougé depuis 9h30!”. Plus tard, le pompier m’offre son T‑shirt (Attention aux incendies, prenez soin de notre pays) puis je m’en vais de l’autre côté de l’île avec l’intellectuel aux lunettes (professeur d’archéologie à Austin-Texas). Depuis un nouveau bar qui a lui aussi pignon-sur-rue nous écoutons les chants d’une procession nocturne qui fait le tour de Flores pour bénir les pas de porte. Le prêtre en chasuble énonce. Venus en famille, enfants à la main, enfants dans les poussettes, chiens poussiéreux, les fidèles sont vêtus de ponchos blancs. Il reprennent en chœur la litanie du prêtre. Alors le goupillon signe d’une croix une maison et coule de l’eau coule sur sa porte.
Train maya
Dans la chambre d’hôtel je branche internet, vais sur le site du “tren Maya”, je sélectionne Destinations. Calakmul — pas disponible. Centenario — pas disponible. Xpujil — pas disponible. Chetumal — pas… Car c’est la même ligne, circulaire, avec bifurcation. La dernière station “disponible” est Escárcega, à la bifurcation. J’achète un billet. Je me dis: on verra là-bas. Le lendemain, je me rends en bus à la gare. Le chauffeur qui assure la liaison ville-gare me dit: “ils ont arrêté la ligne que vous voulez prendre, il n’y a pas de clients”. A la gare, je demande au guichet.
-Peut-on aller à Xpujil?
-Bien sûr! Un billet?
-Et je change où?
-Quelqu’un viendra vous chercher à la sortie du premier train pour vous conduire au second train.
A Escárcega, dix agents sur le quai, autant d’hôtesses habillées en “tren maya” et le double de militaires. La plupart de ce personnel est occupé à se prendre en photo devant le train. Un agent m’envoie dans un passage souterrain. Là, un militaire en arme m’arrête devant un portique de sécurité.
-Pour Xpujil?
-Eh bien… Il faut déjà aller au centre… A moto, c’est le mieux. Puis trouver un “colectivo”…
-Non, non, j’ai un billet de train.
-En train? Non, impossible.
Au fond du passage, une hôtesse:
-Monsieur, par ici, votre train va arriver!
Xpujil
Arrivé tard dans cette ville-garage comme il en existe légion au Mexique. Route poussiéreuse que traverse jour et nuit le trafic poids-lourd, stands ambulants de “sopes” et de *tacos” éclairés à l’ampoule, vulcanisateurs crasseux et débits de Mezcal grillagés. Pris un taxi avec des Catalans qui avaient réservé une cabane sur un terrain de campagne. Je cherche un hôtel, je le trouve: de passage, gras, miteux, sans fenêtres, couru par les cafards. Et le restaurant: entre deux karaokés la serveuse en collants apporte un plat gros comme une montagne. J’identifie du riz, de la semoule de maïs, de la sauce rouge, du poulet râpé. Maux de ventre et nuit affreuse à respirer un air propre-sale.