An 2 (VI)

A mes enfants, je dis­ais: “si je meurs, ce n’est pas grave; j’ai 55 ans, j’ai vécu”. Donc, que des gra­bataires de 90 ans soient exhibés en vedette de la survie pour meur­trir les nou­velles généra­tions est un fascisme .

Commerce

A ce jour, plus aucun doute, l’im­por­ta­tion mas­sive d’in­di­vidus des tiers-mon­des recon­di­tion­nés sous la férule occi­den­tale était bien des­tinée à gan­gren­er la capac­ité cri­tique des pop­u­la­tions. Le résul­tat est frap­pant : peu enclins à réus­sir le dépasse­ment du stade matériel, nous sommes désor­mais cer­tains d’être recon­duits au dou­ble prim­i­tivisme de la vio­lence et du culte. 

An 2 (IV)

Imag­inez, la nuit a été bonne, l’humeur est excel­lente, vous vient l’en­vie de plaisan­ter. Au voisin, vous pro­posez de boucler le quarti­er et d’im­pos­er aux habi­tants le port d’un nez-boule, celui des clowns. Si tout se passe bien, le voisin répond: “tu as bu?”. Mais si les choses se passent mal? Si la plaisan­terie trans­forme le réel? 

Bois

Passé qua­tre heures à vernir les planch­es de la bib­lio­thèque que vient d’achev­er Jésus; ouvri­er et soli­taire, ce type est hum­ble, mais il est surtout artiste, soit un homme qui aime le méti­er et s’in­téresse plus à votre appro­ba­tion qu’à votre porte-mon­naie. Hon­o­rant ces dis­po­si­tions favor­ables, je fais courir mon pinceau avec maîtrise, avant de con­stater avec dépit que le pro­duit, une couche à l’eau, laisse si peu de traces que je doute si j’ai bien verni là où je viens de vernir . 

An 2 (III)

Attaque inédite con­tre les corps. Mou­ve­ment et devenir inter­dits. Sex­u­al­ité repro­gram­mée. Esprits noyés dans une chair à l’ar­rêt, qui durcit (elle est à l’ar­rêt). Com­ment faire pour trans­former chaque indi­vidu en une prison? Actu­al­ité de la réponse. Mais aus­si, c’est de notre faute: longtemps que nous avions cessé de vivre. C’est à dire? De tra­vailler, de se ris­quer, de bais­er, de manger, de con­quérir et de suc­comber. D’être. 

Sortie

Grande et longue, et lumineuse sor­tie à vélo par les petites Alpes pyrénéennes ce dimanche, précédé de gail­lards qui n’hési­tent pas à faire deux cent kilo­mètres en voiture depuis Saragosse pour s’align­er avant dis­per­sion de la nuit sur la ligne de départ, devant l’église d’A­grabuey. Un médica­ment m’a fait dormir tel un loir. Puis j’ai tourné, avant de décoller, pour chauf­fer les jambes, le plateau de fonte du vélo sta­tique. Le groupe s’élance. Très vite, je suis dernier. Tiens la dis­tance. Soix­ante de kilo­mètres et cinq cols. L’humeur  l’emporte: dés­in­volte, salace, ami­cale, je-m’en-foutre — rien de mieux qu’une mod­estie quand elle règne sur l’ef­fort et y con­tribue. Qua­tre heures plus tard, nous avons dou­blé des vach­es per­dues sur des routes de gravier (le gel de févri­er à défon­cé les bitumes), bu aux fontaines des vil­lages, pris un café dans une berg­erie, plaisan­té, sué et souf­fert (un peu). Aus­sitôt de retour dans Agrabuey, le voisin, l’av­o­cat, met à rôtir des poulets. 

Projet

 L’an­i­mal avait pour pro­jet de se dot­er d’une cinquième patte.

Oeuvre noire

La prière est la recon­nais­sance de ce qui est. Un dés­espoir et une force. Devant ce monde qui tombe, la présence affir­mée des forces vitales. Le refus des out­ils qui blessent la majesté humaine, l’u­nique. Ceci n’est pas religieux — sauf à con­sid­ér­er que tout l’est. Or, c’est sans doute la néga­tion du principe religieux dans l’homme qui con­duit ces jours quelques égarés à recon­di­tion­ner avec un tel mépris, une telle lâcheté et pareille faib­lesse opérante l’homme occidental.

An 2 (II)

Réori­en­ter le société moyen­nant l’in­vec­tive, la dénon­ci­a­tion, l’analyse ou l’opin­ion (ce que “nous” venons d’es­say­er de faire pen­dant le mois écoulé) n’a aucun sens; non que ces moyens soient insen­sés, mais parce que la société n’ex­iste plus. Le tra­vail de sape indus­triel a fait son effet: ne sub­sis­tent que des agglomérats d’in­di­vidus rom­pus aux rou­tines du marché et des indices tech­niques de cor­rec­tion. Les par­tis ne font pas de la poli­tique, ils détour­nent l’at­ten­tion; le pou­voir ne représente pas, il veille sur la machine. Dans ces con­di­tions, la lib­erté de l’in­di­vidu est illu­soire, la démoc­ra­tie impossible.

An 2

Dûment éduquées à se com­porter en esclave, les pop­u­la­tions d’oc­ci­dent y trou­vent leur compte et leur plaisir. L’in­stru­ment-virus n’est rien de plus que l’oc­ca­sion d’ac­célér­er la prise de con­trôle sur les corps et les esprits. Réclamer avec des amis de choix — comme je fais — le retour à la démoc­ra­tie, revient à prêch­er les âmes mortes.