Ecriture plastique

Cette généra­tion de demi-pio­nniers de l’ab­strait géométrique réu­nis autour de l’ar­chi­tecte Max Bill (à com­mencer par Ver­e­na Lowens­berg) a réus­si je ne sais par quel tour de passe-passe façon Duchamp à embri­gad­er les jeunes cré­d­ules des écoles d’art suiss­es qui se mirent dès lors à con­fon­dre élab­o­ra­tion rationnelle, couleur pur et forme math­é­ma­tique (rond, car­ré, ligne) au point de nier tout art de recherche usant libre­ment des fig­ures. Non seule­ment ils se con­damnaient par là à un triste anachro­nisme en répé­tant les inven­tions icon­o­clastes des aînés, mais ils se livraient pieds et poings aux milieux d’af­faire trop heureux de favoris­er l’il­lus­tra­tion au dépend de la sub­ver­sion (ce dont témoigna dans les années 1990 mon amie pein­tre L.P. qui s’ex­cla­ma: “je ne peindrai plus, toutes mes toiles finis­sent sur les cimais­es des ban­ques!” — à ma con­nais­sance, elle tint parole). Ce suiv­isme (voir les idiots volon­taristes de BMPT…) a pro­duit les émules actuels des néo-géo; ces derniers ont si bien effacé de leur esprit tout notion d’art tra­vail­lé (plutôt que pen­sé) qu’ils croient dur comme fer à l’u­ni­ver­sal­ité de leurs principes, ce qui leur vaut désor­mais  de manip­uler les mots dans la phrase et les phras­es dans le texte tels des objets que l’on saisir­ait sur le mod­èle de la pièce Lego avec pour con­séquence deux effets sec­ondaires: ils colonisent par leurs textes rem­placistes une lit­téra­ture qui est déjà bien en peine de de défendre la valeur esprit devant l’of­fen­sive indus­trielle des images (et qui ne saurait, sinon par volon­té d’au­to-légiti­ma­tion, être com­parée au matéri­al­isme du Nou­veau roman dont les mem­bres émérites avaient une cul­ture et un don musi­cal cer­tains, que l’on songe ici au Degrés de Butor ou au Miroir qui revient d’Alain Robbe-Gril­let) et jouent mutatis-mutan­dis envers les héri­tiers le rôle que jouèrent pour eux, en leur époque, les demi-pio­nniers de l’ab­strait géométrique.