Argent

Mon grand-père me glis­sait dans la main des pièces de Fr. 5.-. Je n’ai jamais su com­bi­en cela valait, mais j’é­tais impressionné.

An 2 (XXXVII)

Les naïfs ou pour faire vieux jeu les Salauds de Sartre, dont cer­tains étaient encore hier matin des amis dis­ent: “rien ne change”, expres­sion indus­trielle qui recoupe l’e­spérance d’un “retour à la nor­male”. Etrange pour des gens qui ont été for­més comme nous le sommes tous à l’idée de pro­grès. Con­sta­tons que, sauf dans le para­doxe de Zénon, le truc de la flèche, rien n’est jamais immo­bile et que de mémoire humaine, rien jamais n’est revenu (pas même le Seigneur). Mais alors quoi? Se ras­sur­er en un tourne­main, voilà qui n’est plus de la naïveté, mais de l’im­bé­cil­lité. Dis­ons-le, per­son­ne ne sait prévoir. Donc anticiper. Je ne prévois pas, je n’an­ticipe pas. Pré­ten­dre le faire sig­ni­fie sim­ple­ment que l’on impose quelque chose à quelqu’un et que ce quelque chose, dès lors qu’on l’im­pose, est antérieur au moment de l’im­po­si­tion. Il suf­fit d’a­jouter : “je savais”. (les vac­cins sont sans rap­port avec le virus, il exis­taient avant lui). Si comme moi, comme vous, les imbé­ciles n’an­ticipent pas, c’est que nous sommes des per­son­nes bien faites mais lim­itées et que par ailleurs, étant à peu près sains, nous ne cher­chons pas à impos­er. Mais voilà, si je dis “imbé­ciles” en par­lant des naïfs c’est qu’ils répè­tent “rien ne change” alors que déjà — un coup d’œil suf­fit à le con­stater —  tout est changé.

An 2 (XXXVI)

Si la terre était plate et infinie, il n’y aurait pas de prob­lème (ni d’hu­man­ité). Ceci pour dire qu’elle est finie et ronde, donc de plus en plus petite. Sous peu quelqu’un dira: “voyez, je la tiens entre mes mains!”

An 2 (XXXV)

Se défendre, lut­ter, fuir, argu­menter, con­stru­ire et recon­stru­ire, l’ex­er­ci­ce est vain quand une par­tie des vivants par crainte du change­ment et de la mort sociale à la moin­dre alerte met le genou à terre pour sta­bilis­er le planch­er et assur­er son destin.

Amitié

Instal­lé sur cette terre grecque aux paysages de début d’un monde, Aris­tote écrit L’éthique à Nico­maque. Devant Athènes, l’hori­zon. Dans la ville les citoyens que l’on assem­ble selon des lois mais que l’on peut aus­si assem­bler selon les règles cour­tois­es de l’ami­tié. La langue et l’in­vite por­tent aus­si loin que porte la voix: c’est la dis­tance à laque­lle se tien­nent les hommes (la guerre fait par­tie de ce bien). L’ami­tié, la sym­pa­thie, car la civil­i­sa­tion n’a pas encore le poids mon­strueux qu’elle acquer­ra bien­tôt sous l’ef­fet ver­tig­ineux de la pierre, du métal et du char­bon, de l’atome et du numérique. 

Question

Pourquoi ne faire que ce que l’on nous autorise?

Courte échelle

Cet homme impor­tant — écrire aujour­d’hui “en vue” — le devint car tous ceux qui avaient pour ambi­tion de devenir comme lui cher­chaient à obtenir ses grâces. 

Généalogie

Ils mangeaient de la terre et la trou­vaient bonne car “c’est la terre des ancêtres”.

Visée

L’outil appelle la col­lab­o­ra­tion, la col­lab­o­ra­tion le vête­ment; ne va pas nu qui fran­chit le cer­cle intime de la famille ou du groupe. Douze mille ans après le néolithique, nous voici à la fin du vingtième siè­cle: appa­raît l’outil des out­ils que l’on nomme en rai­son de sa fonc­tion pre­mière, le télé­phone (portable). Un vecteur indi­vidu­el d’in­ter­ac­tion avec le monde des machines qui informe, con­forme, ordonne, sim­pli­fie et com­plique les rela­tions entre l’homme et les hommes, entre l’homme et le monde. Quoique sub­til entre tous, cet out­il est encore un médi­a­teur et à ce titre un loin­tain héri­ti­er de la pierre polie. L’un comme l’autre sont extérieurs ou si l’on veut “devant l’homme”. L’in­di­vidu ouvre la main, saisit le télé­phone, le manip­ule. Après les out­ils et l’outil des out­ils, a lieu ces jours une troisième révo­lu­tion. Au terme d’un proces­sus de dématéri­al­i­sa­tion le télé­phone libère son con­tenu qui s’in­tro­duit sous la peau et fait irrup­tion dans le corps pro­pre. Ravis de la prouesse tech­nique les sci­en­tistes bap­tisent le résul­tat, c’est l’homme con­nec­té. Or, l’ex­pres­sion est trompeuse. Car il ne peut être ques­tion d’homme puisque qu’il n’est plus ques­tion d’au­tonomie (laque­lle exige un degré lim­ité de dépen­dance); en réal­ité, nous avons affaire à un “objet con­nec­té”. Désor­mais il faut ranger au côté des cafetières pro­gram­ma­bles, des ton­deuses intel­li­gentes, des robots de loisir et des algo­rithmes de recon­nais­sance, un objet nou­veau, l’homme. Il est d’ailleurs vraisem­blable — c’est la meilleure hypothèse — que la refonte cap­i­tal­iste opérée à la faveur de la crise du virus ait pour visée prin­ci­pale ce devenir-objet de l’homme. Ce qui implique en toute logique que les déposi­taires de la visée se sont auto-sous­trait de ce pro­jet de requal­i­fi­ca­tion du groupe humain. 

Silence

La nuit les gril­lons sont à ma fenêtre. Les échos de leur chant don­nent la mesure du silence. A trois heures trente, passereaux et mésanges sif­flent dans l’im­passe. Jusqu’à six heures, se suc­cè­dent les jeux de voltige et les bruits d’ailes. A l’an­nonce de l’aube, silence. Le phénomène est soudain: tout s’ar­rête, la lumière monte. Vingt min­utes plus tard il fait jour. Alors sur­gis­sent les hiron­delles. Par­ties des toits de pierre, elles pla­nent au-dessus des rues, plon­gent et rasent le pavé et remon­tent au ciel. Quand le pre­mier voisin (il n’y en a que deux) ouvre sa porte, je me rendors.