L’outil appelle la collaboration, la collaboration le vêtement; ne va pas nu qui franchit le cercle intime de la famille ou du groupe. Douze mille ans après le néolithique, nous voici à la fin du vingtième siècle: apparaît l’outil des outils que l’on nomme en raison de sa fonction première, le téléphone (portable). Un vecteur individuel d’interaction avec le monde des machines qui informe, conforme, ordonne, simplifie et complique les relations entre l’homme et les hommes, entre l’homme et le monde. Quoique subtil entre tous, cet outil est encore un médiateur et à ce titre un lointain héritier de la pierre polie. L’un comme l’autre sont extérieurs ou si l’on veut “devant l’homme”. L’individu ouvre la main, saisit le téléphone, le manipule. Après les outils et l’outil des outils, a lieu ces jours une troisième révolution. Au terme d’un processus de dématérialisation le téléphone libère son contenu qui s’introduit sous la peau et fait irruption dans le corps propre. Ravis de la prouesse technique les scientistes baptisent le résultat, c’est l’homme connecté. Or, l’expression est trompeuse. Car il ne peut être question d’homme puisque qu’il n’est plus question d’autonomie (laquelle exige un degré limité de dépendance); en réalité, nous avons affaire à un “objet connecté”. Désormais il faut ranger au côté des cafetières programmables, des tondeuses intelligentes, des robots de loisir et des algorithmes de reconnaissance, un objet nouveau, l’homme. Il est d’ailleurs vraisemblable — c’est la meilleure hypothèse — que la refonte capitaliste opérée à la faveur de la crise du virus ait pour visée principale ce devenir-objet de l’homme. Ce qui implique en toute logique que les dépositaires de la visée se sont auto-soustrait de ce projet de requalification du groupe humain.