Sur la plage bondée, nous sommes dimanche, véritable spectacle , baigneurs et indigents, pêcheurs, colporteurs, et musique, partout de la musique et des danses. J’attends LM qui poursuit je ne sais quelles discussion décisives pour l’avenir de son terrain situé en partie haute de la commune. Il en revient épuisé, content, nerveux, sauf qu’il m’en parle depuis le début de la semaine matin et soir (sans me donner pour autant les clefs du problème) et que j’en entends vanter les mérites depuis bientôt dix ans, donc maintenant que nous sommes rendus, je demande à voir. Nous grimpons au-dessus de la plage. Terrain de deux mille mètres sur le côté d’un hôtel de taille moyenne, vue dégagée sur la mer mais socle rocheux, en forte pente, exigeant un travail à la dynamite. LM a planté et peint un gros panneau de bois : « ce terrain est à LM, il n’est pas à vendre, pas à louer, il est à moi ».
Hors-murs
Trente jours en ville. Je trouve une location de tentes de camping dans un palmeraie du parc Tayrona. LM aimerait que je descende en ville, je reste sous ma tente. Soirée à l’ampoule avec d’aimables français (qui se gardent de parler de la France) et une famille fribourgeoise qui vit en basse-ville, connaît les gens que je connais, revient du Pérou, du Honduras, a débuté son voyage sur des vélos couchés, le long du Danube, avec les trois enfants.
Hôtel Jardin
Endormi, je rêve que je suis dans la chambre d’hôtel – j’y suis en effet – je la vois telle qu’elle se présente depuis le lit, vestibule, salle de bains, court bureau. Quand une porte s’ouvre. Je me réveille. Dans le noir je cherche quelle porte a pu s’ouvrir, si elle est bien ouverte. Aucune porte ouverte, d’ailleurs il n’y a pas de porte de ce côté de la chambre.
Route
De Barranquilla a Rodadero, interminable champ d’ordures. Les maisonnettes en carton forment sur le côté droite des lotissements gris sable. La vie se joue au ras du sol. A l’arrière-plan, dans les lagunes, cabanes de pêcheurs sur pilotis reliées par des pontons de planches. Les enfants marchent devant eux, la démarche molle, comme s’ils allaient tomber. Même le terrain de football (un tous les cinq cent mètres) est jonché d’ordures : bouteilles sèches, sacs plastiques, seaux en charpie. Du côté gauche, c’est l’Océan et le vent.
Direction Santa-Marta
LM me donne rendez-vous à l’aube. Il prendra le premier bus. A Bogota déjà il dormait peu et même moins, trois heures par nuit. Si je me levais, je le trouvais assis derrière la porte de ma chambre, dans le noir, à mâcher du bois doux ou un morceau de cigare. Mais voilà, il va mieux. Depuis qu’il a les cheveux coupés, depuis que nous sommes dans les Caraïbes il « voit » comment résoudre son problème de terrain à Vanga (un faubourg de Santa-Marta) et il a pris rendez-vous avec le chef de la communauté indigène, l’architecte municipal et quelques frappes locales (au besoin), la solution est en vue, ça va. « Donc on se voit à 5h00 au bus? ». Évidemment non. Je suis en vacances et d’ailleurs ce cauchemar qui est de se lever tôt, je l’ai chassé de ma vie. Aussi lui dis-je de partir devant et après le petit-déjeuner (éternel oeufs-arepa) je me rends à la centrale des Berlinas Marbella près de Getsemani, monte dans un mini-bus pour Barranquilla. Nous longeons la côte de Cartagena, filons entre des terres marécageuses défrichées pour recevoir des tours d’habitation (boîtes d’allumettes posées sur des aplats de mousse), nous roulons droit devant, parallèle aux vagues grises qui battent ce désert quand mon téléphone sonne. LM part prendre le bus, il est midi. Cinq heures plus tard je descends juste avant Santa-Marta, à Rodadero, agglomération de gratte-ciels bâclés en bord de mer et dors à l’hôtel Jardin dans un bungalow entouré de tortues.
Cartagena-Manga
En chemin je m’arrête chez Urquiel pour prendre de la bière. Assis devant l’échoppe, là où j’ai regardé le match Colombie-Uruguay la veille, un touriste blond. La mâchoire volontaire, T‑shirt de sport, il tient en laisse un pitbull bien nourri. L’homme se lève, me tend la main, dit son prénom, ce côté direct, américain. A peine avons-nous échangé deux phrases, il veut mon numéro de téléphone. Et me demande où je vis. Lui vit ici. Il ajoute : “je suis de Seattle mais je vis à Cartagena depuis huit ans”. Puis je réalise qu’« ici » veut dire « dans la rue ». Il se met à tapoter sur le minuscule clavier de son téléphone, un modèle ancien et usé: « Donne-moi ton numéro, enfin… si je sais faire. Parce que ce truc-là appartient à ma mère ». Sans transition, il raconte que la nuit dernière un clochard avec qui il buvait sous un arbre est entré en combustion et a craché devant lui un diamant puis un autre diamant. L’Américain raconte ça comme il parlerait d des prix qui augmentent. Donc, il ramasse les diamants, les emballe dans un mouchoir, quitte le clochard miraculeux, mais voilà que dans la douch, les diamants lui glissent des mains, vont à l’égout, disparaissent. S’il est ici, auprès d’Urquiel, c’est qu’il a besoin (il se tourne vers Urquiel: “tu es sûr que c’est pour demain?”) d’autres mouchoirs à fibre pour filtrer l’eau de l’égout et retrouver les diamants.