Il y a quelques années j’étais à Chindale, chef-lieu de la Nation Navajo, dans le Colorado; on voyait dans ce désert des Indiens titubants, des gosses tenus par des éducateurs blancs, des prostituées lépreuses et de la terre jaune le long de rues tristes. Un sentiment de fin de civilisation, ou plutôt d’impossible retour à la civilisation. Ce soir je regarde The Killing, une série policière quelconque et retrouve à l’occasion d’une scène filmée dans une réserve d’Indiens d’Amérique ce même sentiment de catastrophe, sauf qu’il m’apparaît aujourd’hui, face à ce désolant spectacle, que c’est nous dorénavant qui nous préparons à subir les effets délétères d’une mise au ban et j’imagine avec angoisse fanfaronner les brigands qui vilipendent avec méthode heure après heure notre mode de civilisation issu des Grecs et des Latins au profit d’un fiction néfaste et robotique où le post-humain se prend pour le membre émérite d’une espèce supérieure.
Ici
Banquet tranquille, au soleil, en manches courtes, sur les berges de notre rivière de village. Un voisin apporte la table, un autre une chaise, des chaises, des verres (sur lesquelles il écrit nos prénoms), du vin, des olives, le chorizo. Peu à peu nous avons une réunion complète de vingt voisins. Val qui vit au pied des pâturages nous revient avec une grande paella, nous mangeons tout l’après-midi parlant organisation de la course de vélo de juin, autoroute payantes et fermes à canards (pour le pâté) tandis que les enfants, ils sont douze ou plus, passent en coup de vent, jusqu’au moment du dessert (confectionné par Juana qui est maître-pâtissière) où Patricia entonne une chanson d’anniversaire que reprennent en chœur les amis, juste avant que Francisco, les enfants déjà repartis vers le labyrinthe des ruelles, ne demande : “qui fête-t-on aujourd’hui?”.
Environnement
Sur la route qui est déserte plus de trois cent jours par année, des milliers de voitures pare-chocs contre pare-chocs. Ce sont les citadins qui depuis le début de l’hiver trépignent à l’idée de quitter les villes saturées pour gagner la montagne et profiter du large. De même que dans La Monadologie Leibnitz établit que le corps est pour l’esprit la résultante d’une vision grossière de l’univers, quelque soit la nature objective de l’espace le citadin évolue dans l’univers grossier qu’il produit.
Rêve
Multipliant les signes d’amitié envers un homme que j’espère ne pas revoir je lui promets une copie de mes meilleurs vinyles. Preuve de bonne volonté, je note sur un morceau de papier mon adresse mail mais j’échoue à former correctement les lettres, recommence, biffe encore. “Un problème?” demande l’homme. ‑Oui, je n’habite nulle part.
Grippe 2022
Les gouvernements au diapason donnent l’ordre à leurs peuples de “rester assis”. Ce qui rappelle l’album visionnaire de Edgar P. Jacobs dessiné en 1960, Le piège diabolique. Projeté par la machine temporelle dans le Paris des années 2020 (de mémoire), Mortimer perdu dans les couloirs désaffectés du métro éclaire de sa torche ce message écrit dans un français enfantin: “mieu vaut mourir debout que vivre à genous”.
Grippe 2022
Avant tout une reconversion de l’économie. Chaque jour étonné que les citadins qui avancent masqués dans les rues de leur ville ne voient pas le rapport entre l’état de catastrophe fictionnel entretenu par les médias au pouvoir et la fermeture des restaurants, commerces, théâtres sous l’effet des interdits et des faillites.