Ceux-là

J’ad­mire les Suiss­es qui n’ont pas plié l’é­chine. Les autres souf­frent; la souf­france n’a rien d’ad­mirable, on la plaint. Ceux qui se cabrent et réfléchissent et résis­tent, que je regarde faire de loin, que je vois s’en­cour­ager dans une sit­u­a­tion sur le point de s’écrouler, ceux-là je les admire. Ce n’est pas que le pays soit plus dif­fi­cile à vivre dans phase de développe­ment du coup d’E­tat mon­di­al — qu’y a‑t-il de pire que la poubelle française? — mais je con­nais ma société, elle est sérieuse, rob­o­ra­tive, con­fi­ante, au besoin rig­oriste. Or, ces qual­ités ont été retournées con­tre les citoyens. Dans le for intime, nos Suiss­es sont piégés. Ils hon­orent les valeurs qui ont fait le pays tout en subis­sant de plein fou­et les mal­trai­tances du corps et de l’e­sprit qu’im­pose le pou­voir; ils sat­is­font à la droi­ture de car­ac­tère et à l’hypocrisie utile qui ont con­solidé l’é­conomie et voient l’i­den­tité sociale, le con­fort, le loisir vrai bradés; ils sont con­fron­tés à des vex­a­tions admin­is­tra­tives en même temps qu’ils sont som­més de tolér­er des éner­gumènes d’im­por­ta­tion aux visées inter­lopes. Suf­fit, la liste est longue. Se résign­er vaut souf­france, la souf­france con­duit à la cathar­sis ou à la mort, pour les moins sen­si­bles à l’aboulie. Les autres doivent tenir. Ils tien­nent. Ils fix­ent l’hori­zon. Ils voient que rien ne s’arrange. Ils se requin­quent. Tien­nent encore. Fix­ent à nou­veau l’hori­zon. C’est cela, l’e­sprit de résis­tance. En atten­dant de bondir, main­tenir vive les forces men­tales et physiques et ne rien trahir de sa vision du monde.