Mois : octobre 2020

Industrialisation

Chaque per­son­ne est issue d’un moule. Dans la phase de destruc­tion, il suf­fit de vider le moule. Puis de le remplir. 

Identité

“Sans masque, com­ment veux-tu que je te reconnaisse?”.

Don

Autre­fois toute la famille volait. 

Assurances

Si en ces jours som­bres les gens sont dés­espérés, qu’il s’en pren­nent à eux-mêmes. Ils ont fait con­fi­ance à des bon­i­menteurs (agents d’as­sur­ance poli­tique, médi­cale, pro­fes­sion­nelle, diété­tique, morale, intime…) qui assur­aient pou­voir moyen­nant rémunéra­tion exhauss­er avec exper­tise leurs désirs fon­da­men­taux et les soulager des efforts néces­saires. Ce qu’ils con­tin­u­ent de promet­tre après avoir détru­it la posi­tion du client. Or, nous autres clients imbé­ciles, fatigués, telle­ment fatigués de vivre, nous con­tin­uons de sign­er, chaque soir cet engage­ment con­tractuel et mor­tifère. Notre angoisse : rede­venir soi-même.

Mur

Chaque heure qui passe, nous cau­tion­nons la mon­tée en puis­sance d’un régime total­i­taire qui — comme tout régime opérant le tran­sit des richess­es des tra­vail­lants vers les non-tra­vail­lants — détru­it l’aspi­ra­tion spon­tanée du peu­ple à devenir, à sa vitesse sim­ple, le peuple.

Tribulations

Prêt à repar­tir, désireux de quit­ter la Suisse. Mais où aller? Ce matin, reçu mon vélo posté à Pula. Le car­ton est éven­tré. Le fac­teur m’ex­plique: si je le veux, il le ren­ver­ra au des­ti­nataire (il lui échappe que l’adresse de retour est aus­si celle de remise). Après des télé­phones aux admin­is­tra­tions de Vienne, Fri­bourg et Genève, respec­tive­ment pour une prise de domi­cile, une pro­ro­ga­tion de créance et une négo­ci­a­tion, je fouille le car­ton; tout y est. La perte du sac du couchage, neuf, coû­teux et con­fort­able, aurait été frus­trante. Puis j’ap­pelle Anas­ta­sia de Umag, en Croat­ie. Sa sœur — ou peut-être est-ce elle? — répond. Afin de me rap­pel­er à son bon sou­venir, je dis : “C’est moi, le cycliste…”. Elle me rac­croche au nez. Pas découragé, je recom­pose le numéro, encore et encore. Entre temps, j’es­saie de pren­dre con­tact avec l’of­fice du tourisme de la région d’Istrie. Pas de réponse. Les masques sont-ils oblig­a­toires dans la rue,  là-bas comme ils pour­raient l’être à par­tir de mer­cre­di en Suisse, voilà ce que j’aimerais savoir. En début de soirée, je joins enfin la sœur, Ale­na. Son anglais est meilleur, dis­ons “com­préhen­si­ble”. “Mais oui, bien sûr, dit-elle, viens avec ta femme! Ici, il n’y pas un seul étranger”. Et me voici à chercher s’il vaut mieux  ren­tr­er en Espagne ou se ren­dre en Croatie.

Révolte 2020

Ce qui se passe — à moins que l’on ne voie pas ce qui se passe. Com­bi­en de temps les aveuglés auront-ils loisir de nous enfer­mer dans l’ob­scu­rité? Pour moi — j’e­spère ren­con­tr­er ici quelques amis — je veux ramen­er, au prix de mes meilleurs forces, la lumière dont a besoin la vie.

Baccalauréat (année 1)

Le pre­mier des adver­saires à se servir de l’ex­pres­sion est celui auquel elle ne pour­ra être appliquée. Ain­si, les gou­verne­ments appel­lent “fas­cistes” les citoyens ital­iens, français, espag­nols, suiss­es qui man­i­fes­tent con­tre le con­trôle social. 

Réappropriation

Il faut trois généra­tions d’in­di­vidus en état d’ab­né­ga­tion, d’in­di­vidus qui ont délégué leurs pou­voirs de vivant à des admin­is­tra­teurs, d’in­di­vidus qui n’ont plus de rap­port à eux-mêmes, pour aboutir à la sit­u­a­tion actuelle: des entités assez dégénérées pour se deman­der si, con­tre le bon sens et le con­stat, il ne con­vient pas, en dépit de l’ig­no­rance et l’ar­bi­traire des admin­is­tra­teurs, de con­firmer leur droit de con­trôle sur le corps et l’e­sprit, donc la liberté.

Jours tranquilles

Val­lée de Conch­es, dans l’ap­parte­ment de Blitzin­gen, avec de la musique et des palettes de bière. Le matin, prom­e­nade sur les bor­ds du Rhône. Les juments galopent, les oies s’en­fuient, se retour­nent, cac­ar­dent. Les prés qui entourent Bod­men pro­duisent une herbe rase d’aspect velouté. Ensuite, prise de nou­velles (pro­grès des mesures total­i­taires), suivi de l’ef­froi quo­ti­di­en. N’é­tait-ce le prix de la nuitée, je resterais dans ce chalet, ma chope à la main, à regarder par la fenêtre de la cui­sine le voisin broy­er les plantes de son potager, pré­par­er les sil­lons et affer­mir sa bar­rière. A la tombée du jour, il bâche sa voiture, retire son bon­net, se couche. Le lende­main, lorsque nous met­tons en marche le café, autour de midi, il a déjà abat­tu la moitié de son tra­vail. Homme âgé, ralen­ti, sage, qui occupe le temps, vit et survit, il est l’ac­teur soli­taire d’un con­te moral. Com­ment faire mieux en ces heures ? Et surtout, que faire d’autre? Ce voisin a rai­son: il cir­cule dans son jardin, offi­cie autour de sa mai­son, appro­fon­dit un rit­uel, patiente, attend, peut-être qu’il espère. Pas mon cas. L’ac­tion folle de la poignée de cor­rom­pus qui a usurpé les posi­tions de pou­voir ne peut s’ar­rêter sans casse. Encore deux nuits à pass­er dans la mon­tagne. Avec Gala, nous spécu­lons sur l’après. Nous retournerons en Croat­ie ou nous irons à Agrabuey. Mer­cre­di, nos pan­tins nationaux, nos pré­somptueux, vont ‑dit-on- impos­er le masque dans les rues. Cette con­trainte — je me le suis promis — jamais je ne l’ac­cepterai. La lim­ite est atteinte.