Mois : mai 2017

Descente

Dor­mi avec le désir de ne plus se réveiller; en même temps je pen­sais à Prague, à ce voy­age que j’hésite à faire pour aller vis­iter l’ex­po­si­tion de mon ami et entre deux péri­odes de som­meil, dans la lumière blanche, se for­mait l’im­age de l’a­gence de voy­ages, au bout de la rue, après le grand mûri­er qui coule son jus som­bre sur les trot­toirs de la prom­e­nade: hier déjà, la grosse dame dis­ait, “ce sont les derniers bil­lets à ce prix”. Je me ren­dors. La chaleur me réveille. Il fait 32 degrés. Gala est de mau­vaise humeur. Tan­tôt, elle a mangé dans sa cham­bre, s’in­surgeant con­tre ce cli­mat tout-puis­sant. Je n’ai pas ce prob­lème, jamais froid et je sup­porte la chaleur. Mais dormir, c’est autre chose: l’ex­péri­ence du coma. Dans l’im­mé­di­at le coma me va très bien, il faut que je me débar­rasse de cette fatigue accu­mulée, des heures d’écri­t­ure et des heures d’en­traîne­ment. Je me ren­dors. Il est huit heures quand je reprends vie, un petit vent bal­aie la plage. Je lui tourne le dos, quitte la ville et monte dans les collines. A mi hau­teur, un gira­toire ren­voie les auto­mo­bilistes vers la mer. C’est le cimetière. En fait un colom­bar­i­um. Juché, peint à la chaux, blanc comme sucre. La même archi­tec­ture de nich­es qu’au Mex­ique lorsque je grim­pais du fond de la val­lée de Gua­na­ju­a­to pour lire les noms des tombes en espérant trou­ver des mineurs morts dans le désas­tre de Marfil. Du gira­toire, je m’en­gage dans les collines. Le chemin con­duit à des vil­las aban­don­nées. Plus que cela, van­dal­isées (même les azule­jos de la vierge qui bap­tisent l’en­trée ont été trit­urés au tournevis). Des maisons con­stru­ites sans per­mis que leurs pro­prié­taires ont quit­tées encadrés par la garde civile. Ensuite, les voy­ous se sont fait la main. Je pour­su­is sur un sen­tier de ronces, de cac­tus et d’o­liviers. A la fin, je donne sur une urban­i­sa­tion de vil­las mitoyennes pro­tégée de hauts murs. Cepen­dant, le sen­tier se pro­longe. J’at­ter­ris sur une ter­rasse privée, les chiens se déchaî­nent, je recule. Il y a une clô­ture. A force de chercher, je trou­ve un pas­sage. Quelqu’un a cisail­lé le treil­lis — génie habituel de l’or­dre et du désor­dre. Je saute sur un park­ing où les enfants su quarti­er jouent à la balle, pour­suit mon ascen­sion, bute sur l’au­toroute, tra­verse le quarti­er dans l’autre sens et aboutit devant le Lidl où je rem­plis mon sac à dos de bière. 

Jeunes machines

Ces jeunes qui écrivent pour deman­der un con­seil. Plusieurs le mois dernier. Ils par­lent comme s’ils s’adres­saient à une machine. La demande com­mence par une for­mule de politesse. Elle est rajoutée ou alors il s’ag­it d’un copié-col­lé — il y a des formes à respecter, ils les respectent. Puis la demande, le plus sou­vent sous forme de liste. Un, deux, trois… “Voici les trois choses qui m’in­téressent”, écrit l’in­ter­locu­teur. Si vous ne répon­dez pas dans cet ordre ou ne répon­dez pas à l’ensem­ble des ques­tions, ils se vex­ent. A leur yeux, vous ne fonc­tion­nez pas correctement. 

géolocalisation

Gala est au super­marché. Elle m’ap­pelle:
-Je sors main­tenant!
-Je finis mon para­graphe et j’ar­rive.
Vingt min­utes plus tard, je suis sur le quai, au restau­rant La Biz­na­ga. Gala n’est pas là. Or, en ligne droite depuis le super­marché, il y a moins de cinq cent mètres. Je choi­sis une table, j’at­tends. Vingt min­utes de plus. Je vais com­man­der quand je vois Gala. Elle est à dix cen­timètres, elle me tourne le dos. Je l’en­tends qui mar­monne “mais où est-il…?”. J’ac­croche son pull, elle se retourne.
- Mais enfin, il y a un moment que je suis là, s’écrie-t-elle, quand je suis arrivé tout était plein!
Elle désigne une table ronde à moins de deux mètres de la mienne. Table qui était vide quand je suis arrivé.

Fin

Mis à la poste les man­u­scrits. Le bureau se trou­ve à la sor­tie vil­lage. Il est mar­bré, frais et famil­ial, ouvert  jusqu’à la nuit; entre trois et sept, quand le vil­lage dort, des gens atten­dent là des col­is sous le bras. C’est encore le matin, une dizaine de per­son­nes dis­cu­tent. Je tire une chaise et sors le livre que j’ai attrapé en sor­tant de l’ap­parte­ment, Un par­a­digme de Bil­leter. L’at­tente peut se pro­longer, je n’en ai cure; il y a des mois que je ne lis plus pour le plaisir. D’ailleurs, je suis mieux assis dans la salle de poste que dans ma chaise à roulettes qui, à force d’y pass­er six à sept heures par jour, s’est défor­mée — il fau­dra la met­tre à la benne. Les meilleurs moments depuis le début du tra­vail ne mars 2016 auront été le tra­vail sur l’es­sai autour de la ques­tion du libéral­isme l’été dernier à Munich et les mat­inées que je pas­sais à la plage, en jan­vi­er, sur la table de pique-nique, à ajouter des chapitres au roman; le temps le plus pénible, celui des cor­rec­tions. Alors le texte appa­raît pour ce qu’il est, mau­vais. Il donne du fil à retor­dre. Chaque phrase coûte, l’équili­bre men­ace de se rompre… C’est mon tour. Je passe au guichet, l’employé pèse la let­tre. Il demande Fr. 25.- Pour me mon­tr­er qu’il n’ex­agère pas, il tourne la bal­ance, indique le poids. J’achète une tru­elle chez un Chi­nois (voilà trois mois que je veux grat­ter les couleurs que les pein­tres ont lais­sé sur le ter­rasse) puis je vais chez les frères maraîch­ers. Lun­di, j’ai fait de la con­fi­ture d’abri­cots, aujour­d’hui je vais essay­er avec des frais­es. Je ressors avec des oranges, deux tomates cœur de bœuf et un kilo de cerise d’Alfarnate.

Electrototalitarisme (suite)

Ces gens mal­faisants, coal­isés, banals. Ces gens qui ne man­queront jamais d’af­firmer avec fierté, parce qu’il sont des sub­al­ternes au ser­vice d’un dieu machinique et que leur devoir vaut salaire : “je suis ban­quier”, ces gens vien­nent une fois de plus, moi qui croy­ais avoir vécu la pire intro­mis­sion dans mes affaires privées lorsque je vivais dans un trou en France — Bel­le­garde dans l’Ain (afin que les aver­tis sachent quel pièges éviter) — ces gens dis­ais-je, espag­nols pour l’oc­ca­sion, mais la banque n’a pas de nation, ces gens vien­nent d’in­ter­dire mon compte! Et de quoi est-ce que je me plains? De ce que l’on m’ex­clut d’un ser­vice oblig­a­toire! Car sans banque pas d’eau ni d’élec­tric­ité. Or, j’ai les avis de coupure sous les yeux. 

Football

Trois, qua­tre, dix fois par année, le silence s’a­bat sur le pays: Madrid joue con­tre Madrid.

Union

Et si l’u­nion fai­sait enfin la force? Et si, par la grâce du cap­i­tal sur­con­cen­tré et de l’outil­lage numérique la cri­tique réflex­ive était  défini­tive­ment hors-jeu. Tou­jours là, de plus en plus vis­i­ble même, les con­tes­tataires ressem­blent à des mar­i­on­nettes dont on mon­tre les tours.

Curry

Avant de me ren­dre au fes­ti­val de la bière arti­sanale de l’Axar­quie, je cui­sine un cur­ry. Après avoir râpé le gin­gem­bre frais sur le poulet, je saupoudre de jaune. Mon mélange a vingt ans. Un israélien d’une secte minori­taire de Punah m’en a fait cadeau quand il a appris qu’Olof­so et moi ne venions pas dans le Maha­rasthra pour inté­gr­er l’ashram Osho. Le geste est un peu vif, je débor­de sur le mar­bre. Après avoir mangé mon plat, je net­toie la cui­sine — impos­si­ble. Je frotte et je frotte. Le plan est jaune, il est fichu.

Spontanéité

A l’in­stant, comme je me prom­e­nais sur le quai, une gamine tire sa maman par la manche et au large désigne le noir:
-La mer!
-Mais non chéri, il n’y a rien, la mer s’est retirée, il n’y a plus d’eau.
Elle con­tin­ue de par­ler avec ses amies.

Distance

Parce que la société sem­ble étrange, on fait en sorte d’être seul. Etant seul, la société paraît d’au­tant plus étrange. Con­clu­sion, la société n’a rien d’étrange.