Tout le jour, sous les yeux, dans ces pays, de l’à-peu-près, de l’inachevé, du mal-fait, du rapiécé, du brisé. Le regard fatigue, l’esprit se rebelle. Enfin, devant l’ampleur de la tâche, la fatigue l’emporte, l’esprit abandonne.
Train maya
Dans la chambre d’hôtel je branche internet, vais sur le site du “tren Maya”, je sélectionne Destinations. Calakmul — pas disponible. Centenario — pas disponible. Xpujil — pas disponible. Chetumal — pas… Car c’est la même ligne, circulaire, avec bifurcation. La dernière station “disponible” est Escárcega, à la bifurcation. J’achète un billet. Je me dis: on verra là-bas. Le lendemain, je me rends en bus à la gare. Le chauffeur qui assure la liaison ville-gare me dit: “ils ont arrêté la ligne que vous voulez prendre, il n’y a pas de clients”. A la gare, je demande au guichet.
-Peut-on aller à Xpujil?
-Bien sûr! Un billet?
-Et je change où?
-Quelqu’un viendra vous chercher à la sortie du premier train pour vous conduire au second train.
A Escárcega, dix agents sur le quai, autant d’hôtesses habillées en “tren maya” et le double de militaires. La plupart de ce personnel est occupé à se prendre en photo devant le train. Un agent m’envoie dans un passage souterrain. Là, un militaire en arme m’arrête devant un portique de sécurité.
-Pour Xpujil?
-Eh bien… Il faut déjà aller au centre… A moto, c’est le mieux. Puis trouver un “colectivo”…
-Non, non, j’ai un billet de train.
-En train? Non, impossible.
Au fond du passage, une hôtesse:
-Monsieur, par ici, votre train va arriver!
Attente 2
Des Français en voiture de location proposent de me conduire à Uxmal. Je vais dans l’autre direction. Comment? Je l’ignore. Au bureau des Touristes, on me dit: “il y a un taxi collectif”. Au marché, je trouve un sigle (TAS) peint contre un mur. Un vendeur de mangues confirme: “c’est là, mais demandez quand même”, et d’indiquer un creux dans le mur, juste après les lettres (ce n’est pas une porte). J’entre. Dans la cavité, le ventre à l’air, un type dans un hamac. J’appelle. Encore. Je reviens vers le type aux mangues: “je n’arrive pas à le réveiller”. Celui-ci: “ne vous en faites pas, le “colectivo” viendra vers 13h00”. En effet, peu à peu les clients arrivent. Un paysan qui transporte des oeufs, une étudiante, un couple. Le mari déballe un pain, il prend une bouchée, il donne une bouchée à sa femme. Ainsi, jusqu’à finir le pain. Il sont gros. Ils débordent. Il fait 37 degrés. Le paysan aux oeufs me dit: “je vais aller faire des chats, je reviens”. Il ne revient pas. J’attends. J’attends encore. Je renonce. Je retourne à l’hôtel Castelmar.
Attente
Attendu une heure devant le marché au poulets un “colectivo” qui n’est jamais venu (j’essayai de rejoindre des ruines). Un document d’hôpital en main, une femme mendie pour acheter le médicament dont a besoin son fils. Les Mexicain donnent, je donne. Pour regagner mon hôtel sur le port de Campeche j’emprunte la ruelle des coiffeurs: des dizaines d’échoppes en plein air où l’on coupe, rase, égalise. Assis sur le trottoir, les clients attendent. Il sont accompagnés de leurs familles venues assister au spectacle.
Cenote
Descente par une double échelle de vingt-trois mètres. J’évite de regarder en haut, en bas, je descends les yeux rivés à la paroi, il faut éviter de penser “si je lâche, je suis mort” — j’y pense.. Toldo, lui, est déjà dans l’eau, au fond du trou. Tout à l’heure, Toldo a fait monter dans la voiture un gamin de la région. Il nous a guidé le long de la piste. Maintenant, il nous rejoint au fond du cenote, décroche un radeau, en tire à mains nues sur un filin d’acier, l’amène au centre du cratère d’eau. Le peintre-yogi est sur le radeau. Il avance vers nous telle une apparition. “Des plongeurs ont voulu atteindre le fond, dit Toldo, ils ne l’on jamais atteint”. Après la baignade, Toldo essaie de convaincre l’indigène d’apprendre le maya, sa langue. “Tu devrais profiter, ton père parle le maya”. Le gosse n’est pas ravi. Par politesse, il hoche la tête. “Je vais t’envoyer un conte, tu verras, tu vas vite apprendre.” Sortis de l’eau, revenus sur le terre ferme, vingt-trois mètres plus haut, nous remontons en voiture. Aussitôt quitté la piste, Toldo conduit selon son habitude, à une vitesse folle. Sans ceinture, torse nu, plus que calme, extatique.
Sudzal
A Schambalante, cuisine délicieuse et belle concoctée par un chef sur les indications de Toldo. Dans l’assiette les arrangements sont précieux, les produits choisis quand ils ne sont pas récoltés. Régime sans viande avec une préférence pour les légumes et les fruits, et des eaux à boire, rouge, verte, jaune, de Jamaïque, de citrus, de courgette — bien les eaux, mais passer la soif ne suffit pas, je pense aussitôt: “il va falloir trouver la parade”. Elle est au village de Sudzal. Là où vit le peuple, on boit. Le gardien des bâtons me remet un vélo. Je pédale trois kilomètres sur une route tracée au cordeau. Au bout, dans un nuage de poussière chaude, l’église hispanique, une croix de béton, la place de jeux et le poste de police. Camions, motos et charrettes roulent en direction de Mérida. Les chiens dorment au milieu de la route, les véhicules contournent. J’arrête mon vélo devant l’épicerie. Murs de parpaings, porte de ficelle. En façade des pochages publicitaires, à même le trottoir les bouteilles de gaz et l’armoire à glace. A l’intérieur, des jeux d’arcade des années 1980, et les produits en vrac, grain, farine, pois. Ces épiceries de village ne vendent pas d’alcool. Un gosse me renseigne: “mais je crois qu’aujourd’hui c’est fermé.” Il a raison. L’unique débit de Sudzal appartient à la chaîne Sixx et les jours d’élection le débit n’ouvre pas. Deux paysans affairés sur une moto qui a perdu sa roue: “depuis la boucherie, tu comptes deux blocs, c’est derrière la maison jaune”. Il me faudra encore parler avec d’autres villageois car la boucherie c’est l’ancienne boucherie, “normal que vous ne l’ayez pas vue, me dit une autre gosse, c’est ce truc, là (un bâtiment condamné). En revanche, pour ce qui est de l’alcool, tout le monde est d’accord : derrière la maison jaune. Deux blocs plus loin je me glisse à travers une palissade, je me retrouve dans une cour privée. Des hommes boivent au milieu des poules. Ils m’avancent un chaise. Je commande un “missil” pour la tablée (bouteille de 1,2 litres). Les hommes parlent boxe, football, élections municipales. “C’est aujourd’hui, on ne boit pas pendant les élections, mais c’est fini maintenant, on sait déjà qui a été élu, dit mon voisin”. Il se présente: je suis l’adjoint du maire.