Sur la route des canyons au nord de la province de Burgos. Des colosses de granit barrent l’horizon, les cirques sont pleins de soleil, les défilés s’ouvrent sous nos pneus. Un cataclysme tranquille qui semble délaissé des hommes depuis la préhistoire. Dans le rétroviseur j’aperçois le van blanc de Monami, le même que le mien, à la traîne et qui crache sa fumée le vieux Ducato d’Evola. Début d’après-midi, nous sommes aux portes du Monument naturel de Ojo Guareña, une grotte qui servait de monastère. Les voûtes peintes de la chapelle dédiée à San Tirso et San Bernabé comporte des dizaines de scènes de tortures: lynchage, écartèlement, flagellation, huile bouillante, piques aux yeux, sévices dont la guide nous explique qu’ils n’ont “aucunement fait souffrir les religieux”. A l’entrée du labyrinthe (110 kilomètres de galeries dont nous verrons à peine l’antichambre mais dont on nous balance quelques images de synthèse) qui creuse la falaise des jarres enfouies dans le sol où les paysans stockaient au moyen-âge le grain censé pallier aux famines. De retour sur la nationale — il fait toujours 36 degrés — nous mangeons la plus médiocre de paellas que j’aie goûté en cinquante ans, tiède, molle, farineuse, puis roulons en convoi jusqu’au lac d’Arija, lac de retenue dont la vision depuis les hauteurs est proche du mirage. La nappe fine, irisée et bleue s’étire sur de longs kilomètres au centre d’un désert farineux. Le village des berges, groupe de maisons plus que village est une sorte d’agglomération en sursis que traverse une voie de chemin de fer. A notre arrivée au café les conversations bifurquent, les habitués cherchent à savoir qui nous sommes, quelle langue nous parlons, ce que nous voulons. Quant à la patronne elle se réjouit, Monami veut dîner, il veut de la viande grillée et une bouteille, elle va remplir sa caisse.