Mois : octobre 2022

Passé

En bon égoïste, en père de famille, en homme qui a vécu, tôt le matin à l’heure où je som­meille, comme j’en­tends le voisin har­nach­er son enfant de deux ans sur la ban­quette arrière de la voiture pour le men­er à la garderie, je pense: “ouf! mon tour est passé.”

Action continuée

Agir dans le sens du pos­si­ble pour le ren­dre réel.

Piedralma 2

Pedro est venu livr­er le bois, un mélange de hêtre et de chêne. Dès les pre­mières neiges, dit-il, les san­gliers vont se rap­procher. Il mon­tre le champ que j’ai com­mencé à bêch­er : “du temps de l’an­cien pro­prié­taire, ils venaient manger là. Ne vous éton­nez pas si ça tire dans le bois, je chas­se dans le coin.” Pedro par­ti, je me recouche. Quand je fais sur­face, il est près de midi. Evola à cas­er le stère de bois sous les vieilles bal­ançoires, il tra­vaille au chantier de la car­a­vane. Je cuis mon café, prend place sur un pli­ant au milieu de la dalle de ten­nis, mange des tartines de pain à l’huile et une tomate rose. Nous finis­sons de pos­er la fenêtre: vérins, glis­sière, quart-de ronds, mousse expan­sive, tout le vocab­u­laire appris à Gim­brède lorsque je réno­vais les Cornières, me revient. Plus tard, je me lave dans la riv­ière, vais explor­er la source dite Petite ama­zonie, verse de la bière dans une chope Car­di­nal, me mets à la lec­ture. La nuit tombe, je ne fais plus rien. J’at­tends. J’é­coute. Evola est descen­du à Puente chercher les lunettes de vue qu’il avaient mis­es en répa­ra­tion. Autour de vingt-deux heures, “chis­tor­ra” au feu sous un ciel gris et pom­melé. Plus tard, en pull, en veste (il fait cinq degrés de moins que la veille), nous com­parons la qual­ité du char­bon alle­mand (que j’ai ramené de Munich) et du char­bon chi­nois (acheté à Puente). Nuit de onze heures inter­rompue à l’aube, le temps d’un mas­sage, par un mal de ventre.

Piedralma

Sur le ter­rain d’E­cho avec le van. Les roues du VW sont petites, la car­rosserie basse, je red­outais le chemin. L’an dernier, avec le paysan, je suis resté coincé dans la ravine; c’é­tait en décem­bre, la tra­ver­sée du pont se fai­sait à pied, l’eau mon­tait aux genoux. Aujour­d’hui, je passe sans encom­bres: les aller-venues d’Evola ont tassé les pier­res. Je le trou­ve dans sa car­a­vane qu’il isole de laine et cof­fre de pin. Je gare le VW sur la dalle qui ser­vait de piste de ten­nis, j’ac­tionne le toit ouvrant et fais mon lit (drap et taies couleur safran, duvet de plumes hon­grois). Je sors ma table et mes chais­es, rem­plis le frigidaire de bord de glaçons, y dis­pose mes bouteilles de bière. Puis j’aide Evola à pos­er une fenêtre guichet et com­mence à bêch­er l’emplacement de l’an­ci­enne serre. Vers six heures, nous arrê­tons le généra­teur. Le silence est alors si pro­fond que l’on entend l’en­vol des oiseaux. Le soir nous cuisons de la “chis­tor­ra” sur le feu, le ciel est voilé, gris, sans lune, un air chaud court à tra­vers les arbres.

Je signe

“Infuser la pen­sée dans le jet de la créa­tion ou, inverse­ment, couler la créa­tion dans le moule de la pen­sée. A sup­pos­er qu’elle soit réal­is­able, la pre­mière opéra­tion me sem­ble recel­er de plus vastes per­spec­tives artis­tiques. “, Calaferte, Le chemin de Sion, 1963.

Abel

Pass­er le col sur la France en début d’après-midi, remon­té une laie pour gag­n­er les Forges d’A­bel. Plus d’une heure je suis seul. La douane d’alti­tude, fer­mée, aban­don­née. La sor­tie du tun­nel, au bas du col, silen­cieuse. Une semi-remorque sans chauf­feur. Peint sur le con­teneur, au dessous d’une mon­tre dig­i­tale: cal­cule ce que tu fais, tout le temps, partout. Je tra­verse la route inter­na­tionale, passe sous l’an­cien pont fer­rovi­aire Pau-Saragosse, enclenche la petite vitesse et grimpe. Un hameau saccagé près du tor­rent, les arbres roux sec­ouent leurs feuilles. Dans un creux, une petite cen­trale hydraulique. Des ruch­es der­rière le pan­neau Atten­tion abeilles. Au bout de l’as­cen­sion, qui est là, qui ne fait rien, un cou­ple de gros. Je salue, ils salu­ent. Sen­ti­ment de part et d’autre: “que faisons-nous là?.

Premier âge

Aucune envie d’être jeune même si je me réjouis pour ceux qui sont jeunes. D’ailleurs ai-je jamais été jeune comme il faudrait l’être? Si forte la pres­sion qui s’ex­erçait pour déroger au réseau des con­traintes que fait peser la société — j’ou­bli­ais de m’amuser.

Informations

Nom­bre d’in­for­ma­tions chaque jour engrangées. Recev­ables pour autant que l’on ait aupar­a­vant bien pris soin de bâtir sa grange.

Hors-tout 2

Passé le week-end à écrire le pro­gramme d’au­todéfense. Autour de la mai­son des cris d’en­fants et des abois de chiens, des embras­sades et des rires, des con­ver­sa­tions et des bavardages sur les champignons récoltés en forêt, sur les enfants, le temps, les chiens, sur la cui­sine et le prob­lème majeur qui se pose toute l’an­née aux Espag­nols: com­ment fab­ri­quer une bonne tor­tilla de patates. Je sors côté rue et ren­tre. Je sors côté jardin et ren­tre. J’avais ouvert les fenêtres, je les ferme.

Ensuite

Ce qui dans la mort nie le tout de la vie doit être enten­du — raisonnable­ment — comme autre chose, pré­cisé­ment: autre chose que la néga­tion de la vie dont nous faisons l’expérience.