La colonisation de Genève est presque achevée. Dans les quartiers populaires — Charmilles, Servette, Plainpalais — le schéma est complet. Quelques blancs, chenus ou indigents, tournent encore sur place. Blessés, honteux, à bout de force, ils ont l’air perdu. La plupart vivent de l’assistance. Condition pour l’obtenir, demeurer sur place. Les autres — les colons — ont été débarqués du tiers-monde par des fonctionnaires qui s’occupent de recréer le réel. Depuis trente ans, ceux-là détruisent avec méthode l’identité, la culture, la langue, l’avenir du pays. En 2023, il ne reste plus grand-chose à détruire. Dégoûtés, ils le sont, mais il est trop tard: ils continuent. Voilà cette “Ville de paix”. Qui à chaque minute menace de s’effondrer sur elle-même. Pour retarder la catastrophe, il faut des moyens financiers, il faut des contributeurs. Ils sont pour partie Français. Esclaves économiques qui fuient le régime d’appauvrissement qui sévit dans l’hexagone, les Français vendent leur force de travail sur le marché local, trouvent refuge le soir venu de l’autre côté de la frontière ; quelques entreprises aussi, certaines au rayonnement international, et des rentiers, et des familles demi-bourgeoises qui “font face”. Enfin il y a les artistes (leur art consiste a percevoir des aides). Plus nombreux à Genève que dans les autres capitales, ils jouent cependant le même rôle : servir d’amuseurs et relayer la propagande. Comme les débarqués du tiers-monde savent tout juste lire et écrire, que les entrepreneurs ne connaissent que le langage de l’argent et que les rentiers ne se mêlent pas au reste de la population, les artistes produisent ce qu’ils consomment, c’est à dire qu’ils sont à eux-mêmes leur propre public. La Municipalité n’en a cure; elle les rémunère pour donner à croire que Genève est vivante, humaine, créative donc vivable. Illusion dont l’entretien apparaît chaque jour plus difficile .