Döttinken

Où attend le Turc, ville, vil­lage ou aggloméra­tion de cette Suisse de l’en­tre-deux qui pour un Romand — ce que je suis par défaut — n’ex­iste pas. Tout est fait pour dis­suad­er la vis­ite. Les routes sont alam­biquées, c’est à peine si elles fig­urent sur les cartes. Mais je n’ai pas le choix. La voiture doit être ven­due, je per­sévère. A mesure que nous pro­gres­sons vers Schaffhouse et Bâle, les obsta­cles devi­en­nent plus sérieux. Freinant le désir, inhibant le car­ac­tère comme l’autre jour sur l’au­toroute, en direc­tion de Munich, mais ici sur un ter­ri­toire de lil­lipu­tiens mar­qué de fontaines, de trains minia­tures, de pots de fleurs. A la fin, un chantier puis une plaine tirée au cordeau. Sur un gazon des hangars. Dans le pre­mier, un cou­ple de bar­bus le torse plein de graisse. Le chef d’ate­lier essuie sa main sur la salopette: le Turc, c’est la porte d’à côté. Sec­ond hangar, des Ana­toliens à tête de faunes ser­rés dans des costards bleu pét­role. Pre­mière ini­tia­tive, nous asseoir dans des fau­teuils de cuir, servir le café, atten­dre, se taire. Gala boit de l’eau. Le Turc lui fait signe de finir la bouteille — il par­lera après. Bien sûr, bien sûr, sem­ble-dire cet Ana­tolien trafi­quant de gross­es cylin­drées, la voiture est là, il faut fix­er un prix, mais nous ne sommes pas pressés, n’est-ce pas? Quand il se décide, il appelle son col­lègue. A deux ils sor­tent, reluquent la Dodge. Je les rat­trape, leur passe les clefs. Celui que j’ai eu au télé­phone se prénomme Ates. Il con­sid­ère la clef, il hésite. Il finit par ouvrir la por­tière, mais ne monte pas à bord, ne lance pas la moteur, ne lève pas le capot. Les deux Turcs sont de retour der­rière leur bureau, dans l’air con­di­tion­né. Pneus, freins, grif­fures, ils étab­lis­sent un diag­nos­tique. Rien à redire, il est juste. Sauf pour la goutte. Si je n’ai pas caché le froisse­ment de tôle, tôle que j’ai faite déplié et repein­dre, j’ai omis de dire qu’en scru­tant le flanc droite de la car­rosserie appa­rais­sait le relief d’une goutte de pein­ture mal pon­cée. Pourquoi le Turc n’en fait-il pas la remar­que? Parce que, déclare-t-il, en Suisse une car­rosserie qui ne brille pas de ses milles feux est invend­able. Si nous la prenons, explique son acolyte, nous aurons à refaire toute la pein­ture. En Espagne, vous dîtes? Non, non, non! L’Es­pagne… ce n’est pas pos­si­ble! Et Ates me rend les clefs. Pro­pose un autre café. Souligne un à un les prob­lèmes. A com­mencer par le phare. Les deux fis­sures sur le côté. L’une et l’autre de la taille d’une ride, je sais, ma faute, j’ai heurté un mur de super­marché en Croat­ie. Eh bien, rem­plac­er ce phare… fait le Turc en tapant sur sa cal­culette, coûte Fr. 2400.- Il a rai­son. J’ai choisi les rides, car je con­nais­sais ce prix. Donc nous repar­tons en direc­tion de Wohlen avec en tête l’of­fre des Ana­toliens, soit un tiers du prix de neuf. A Wohlen, autre vil­lage de l’en­tre-deux suisse, le marc­hand Dodge, celui-là même qui a ven­du le véhicule il y a qua­tre ans. Il prend la voiture en main, la ren­tre dans l’ate­lier. Pique-nique de cerve­las et de patates pris chez Den­ner que nous man­geons en bord de route sur la table extérieure d’un café fer­mé (horaire 12h00-13h30). Fin d’après-midi, le ver­dict: l’of­fre de Wohlen est inférieure à celle des Turcs. Reste trois cent kilo­mètres à rouler jusqu’à l’hô­tel en France, le temps de se consulter.