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Qui est le nom d’une douane. Je ne l’ou­blierai pas. Quant aux instal­la­tions, ce sont les mêmes dans tout l’u­nivers. Des con­teneurs à bureaux sur­mon­tés d’un toit de métal équipé de flèch­es, de feux, de tri­an­gles. Sur les voies, des agents. Aus­sitôt quit­tées les berges autrichi­ennes du Rhin, je m’ex­clame: “zut, un con­trôle!”. Gala soupire: “tou­jours pes­simiste!”. Les douze litres de bière, la vod­ka, l’ar­gent, tout est en excès. Cela ne m’in­quiète pas, mais la voiture: déclarée volée par mes col­lègues, j’ai fait annuler la déc­la­ra­tion, j’ai demandé son report puis j’ai racheté cette voiture (qui m’ap­parte­nait). Lun­di encore, je pré­ci­sais ren­dre les plaques après le voy­age en Bav­ière. Aujour­d’hui, devant le poste de douane, je ne sais plus. Un mai­gre dégin­gandé prend les papiers que je lui tends. Per­mis de con­duire? “Je n’ai pas”. Il me laisse sous la garde d’un chauve à bedaine. Des bureaux sur­git le chef . “Est-ce que je par­le alle­mand?”. Oui. Mais bizarrement, pas ce jour-là. En fait, je n’ai jamais par­lé aus­si mal. La fatigue peut-être. Le ras-le-bol sûre­ment. Après six mois à batailler avec mes col­lègues, le ras-le-bol. De la Suisse. “Au pays des fous, décou­verte de la Suisse”, voilà le livre qu’il faudrait pub­li­er. “Ouvrez!”. Le mai­gre passe les mains sur les car­tons, ouvre les sacs et le frigidaire. Tout est en excès, il le con­state, il ne dit rien. Mau­vais signe. Je rem­balle, le chauve me fait ren­tr­er dans la voiture. Il demande: où est votre per­mis? “A Budapest”. Pourquoi mes col­lègues ne le trou­vent pas sur l’or­di­na­teur? “Parce qu’il est mex­i­cain”. Fix­ant de l’autre côté du no man’s land le vil­lage de Ber­neck où il est né, où il demeure, où il mour­ra, le chauve fait: Super! Il hoche la tête, l’air dés­espéré. Si j’avais à vivre dans ce trou et à con­trôler des idiots qui con­duisent avec des per­mis mex­i­cains, je le serai aus­si. Et voilà ses col­lègues qui font signe. Pas pour qu’il rap­plique, pour qu’il soit vig­i­lant. Je ne suis pas celui que je dis être. Le chauve se redresse, relève le men­ton et sort une for­mule en saint-gal­lois qui sig­ni­fie quelque chose comme “dès cet instant, vous êtes sous sur­veil­lance, n’es­sayez pas de fuir!”. S’en­suiv­ent trois heures de garde à vue. Entre temps la police est arrivée. Elle procède à des inter­roga­toires séparés. Le pre­mier pour la Dodge. Un avis de recherche nation­al a été déclenché, con­duire ce véhicule est illé­gal. “Recherche? Par qui?” La police. “Vous?”. Celle de Genève. “Pourquoi?”. Il ne sait pas. L’autre col­lègue pho­togra­phie mon per­mis, l’aus­culte, souligne du doigt la date de péremp­tion, 1997, le scanne, ouvre son ordi­na­teur, fait précéder les ques­tions oblig­a­toires de l’aver­tisse­ment lié aux procé­dures pénales: “Vous pou­vez réclamez un avo­cat et un tra­duc­teur, tout ce que vous direz…”. Le ridicule. Suisse. Le pre­mier, celui qui s’oc­cupe de la con­fis­ca­tion de la Dodge, appelle la police de Genève. Par­le dans son patois suisse-alle­mand, com­prend que dalle au français des Français fonc­tion­naires de Genève. “Que l’on me mette au bout du fil!” Les Saint-Gal­lois acceptent. Penchés sur le télé­phone, ils écoutent la con­ver­sa­tion que je tiens avec Genève. Genève dit: nous ne savons pas qui, ni pourquoi, ce n’est pas notre ser­vice, mais vos plaques ont été annulées. J’ap­pelle mon ex-col­lègue afficheur. Qui m’af­firme que ce n’est ni lui ni Mon­frère. A‑t-il demandé à Mon­frère? “Non”. Com­ment sait-il que ce n’est pas Mon­frère l’an­nu­la­tion? Il en est sûr. Main­tenant j’ai deux flics et trois douaniers autour moi. Je rac­croche. Nou­velle série de ques­tions. “Êtes-vous con­scient de ceci… de cela…?” Ah la con­science! Les Saint-Gal­lois, philosophes : de toute manière, il est trop tard! Le flic me mon­tre l’hor­loge Migros accroché à la paroi de la cel­lule. En effet: il est six heures. Heure à laque­lle en Suisse tout s’ar­rête. Puis-je aller par­ler avec ma femme? Qui attend. Côté pub­lic. Le flic con­sulte son col­lègue. Qui hésite. Met la main à son arme. M’ac­com­pa­gne. A Gala, je dis: “ça se com­plique!”. Et le flic me fait ren­tr­er dans la cel­lule. Je fais val­oir: “c’est une erreur!”. Pas de réponse. Un douanier décroche les plaques de la Dodge, m’indique où la gar­er — sous un arbre mi-autrichien mi-suisse — et nous dit de repass­er le lende­main. Gala et moi par­tons à pied sur le pont, en direc­tion de Lus­te­nau, nos balu­chons à la main.