Quebrantahuesos

La nou­velle vient de tomber, la plus impor­tante com­péti­tion cyclo­touriste d’Es­pagne, la QR vient d’être annulée pour caus­es de tem­péra­tures exces­sives. Comme les amis, deux jours que je mangeais pâtes et légumes pour me pré­par­er à ces 200 km et 3500 de dénivelé. J’an­nule, je passe à la bière. Je prends place dans le canapé, j’at­trape au vol les mes­sages de colère qui crépi­tent sur les télé­phones, dans la presse, dans la rue. La ten­sion monte d’un cran en soirée quand l’or­gan­isa­teur révèle que l’in­ter­dic­tion de con­courir vient de France. Le préfet des Pyrénées atlan­tiques red­outait des coups de chaleur, des acci­dents, des morts. Accom­pa­g­né de cet aveu : depuis la fausse crise du virus, il manque des ambu­lances, des lits, des soignants, liq­uidés en vue de la pri­vati­sa­tion à l’améri­caine du sys­tème de san­té. Mon ami le maire sort de ses gonds. Il envoie soix­ante-sept mes­sages, par­le enfin de pren­dre le fusil, de dis­tribuer des balles. Il est vrai qu’il fait chaud. Très chaud. Mar­di, je fai­sais mon dernier entraîne­ment du côté de la Navarre. Après qua­tre heures de route à quelques 35 km/h de moyenne, je me sens faib­lir. Je cherche la cause. La vic­i­nale est blanche de lumière, le roc brûlant, le ciel raide. La con­sul­ta­tion de mon comp­teur me ras­sure, il fait trente-huit degrés, je suis déshy­draté. Le vélo jeté dans le cof­fre de la Dodge, je rejoins la sta­tion-ser­vice de Puente où j’achète une bouteille d’eau d’un litre et demi. Je la bois en entier. Retour à Agrabuey ce soir. Les mes­sages n’en finis­sent plus de tomber. Désor­mais ils sont chiffrés. Les voisins racon­tent les pertes des nuitées d’hô­tel et les pertes en cui­sine (stocks des restau­rants). Moi, je pense aux com­péti­teurs venus du Por­tu­gal, d’An­gleterre, de Suisse. Pré­cisons, il s’ag­it d’une des cours­es les plus cotées d’Eu­rope, il y a douze mille par­tic­i­pants. Un mot d’or­dre est alors don­né par Pérez: “les cyclistes ne craig­nent pas la canicule, avec ou sans organ­i­sa­tion, nous allons courir”. Le matin, je suis sur la place du vil­lage et c’est le coup de mas­sue: les Français ont instal­lé des rib­am­belles de gen­darmes sur la fron­tière pour inter­dire le pas­sage des vélos.