Quartier sous-gare de Lausanne, au milieu des malades. Assis à vingt mètres de la porte vitrée de la boutique selon un angle calculé, j’évite autant que faire se peut de regarder dans la rue les passants lents, jeunes, honteux, cacochymes. A portée de main le frigorifique que j’ai aussitôt la Dodge garée, la valise ouverte, le vélo sur béquille, garni des bières prises au supermarché de la mosquée où un Arabe fait de mauvais sable muni d’un brassard Sécurité (un lieu de culte qu’il faut protéger?) sourit à la caissière Sud-américaine, joue les nouveaux Suisses, a raison de jouer les nouveaux Suisses parmi les défaillants, les faiblards, les importateurs, les inhibés et les malades qui hantent les derniers jours du grand partage apocalyptique. Quand quelqu’un s’arrête devant la vitrine de la boutique, veut ouvrir, frappe, s’appuie, regarde à l’intérieur. Une cliente pour une peluche, un cadre ou une tasse, cinquante centimes, dix francs, deux francs. Nous ne vendons pas, nous ne vendons rien. Les bibelots en vitrine? Décoration. Les meubles? Occupation des sols. L’homme assis sur la chaise, à vingt mètres de la porte, une bière dans la main? Il arrive du Lubéron, c’est moi. Du Lubéron où j’étais à l’abri des humains, par la grâce de la nature, loin du laboratoire, par la grâce de la nature, à bord d’une splendide maison de pierre ocre sertie dans les vignobles, encore la nature, où j’étais avec Gala et je viens de conduire et je suis fatigué, et si je suis assis dans l’angle c’est que je n’ai pas besoin de voir ce qu’est devenu le quartier sous-gare de l’épouvantable Lausanne et de tout notre pays épouvantable, un sanatorium de résidents du terroir et d’énergumènes catapultés.