Difficulté à trouver de la bière de consommation courante dans la campagne française. Comme en Suisse ou en Espagne, les monopoles nationaux ont évincé la concurrence des pays de qualité, Allemagne en tête; s’adjoint un phénomène neuf, en partie politique: effet des vexations administratives dont font l’objet les jeunes (exclusion par les prix hauts des lieux de boissons), les centrales de vente achalandent des bières d’ivrognes qui pointent à six, sept et huit degrés, ce qui me rappelle qu’enfant à Helsinki dans les années 1972, lorsque j’allais me luger dans le parc de Kaivopuisto, les clochards tombés entre les pierres marines cuvaient une mixture de lait, d’eau de Cologne et de vin.
Mois : mars 2022
Vie
Monfils m’envoie de réjouissantes images de la rave à laquelle il participait durant la nuit. Corps en fête, désordre, chaleur, énergie. Faire et être en dépit des circonstances ou contre les circonstances, pas de meilleure preuve de jeunesse, pas de plaisir plus nécessaire. Dans Les vagabonds du rail, recueils de souvenirs de Jack London sur sa période “hobo”, il avait alors dix-huit ans, il écrit: “De temps à autre, dans les journaux, magazines et annuaires biographiques, je lis des articles où l’on m’apprend, en termes choisis, que si je me suis mêlé aux vagabonds, c’est afin d’étudier la sociologie. Excellente attention de la part de mes biographes, mais la vérité est toute autre: c’est que la vie qui débordait en moi, l’amour de l’aventure qui coulait dans mes veines, ne me laissaient aucun répit.”
Aigues
Avec ses villages jaunes entre vignes et labours, le Lubéron est un pays calme. La maison d’un étage est bâtie au milieu d’un terrain de six mille mètres. La piscine est couverte d’une bâche que fait danser le vent. La première semaine, un soleil printanier brille dès dix heures. Avant de quitter l’Espagne, j’ai fait quelques plans. Vendredi dernier, j’essaie l’un d’entre eux. Le vélo chargé d’eau et de quelques habits, je roule sur une route de campagne. La sensation est la même qu’en Aragon: pas un homme sur les terres, des mas aux volets tirés, des tracteurs à l’arrêt. Un peu plus loin, une série de chais aux abords d’une grange de pierre. Le viticulteur travaille. Je quitte la route, emprunte un chemin large et carrossable. Dans la forêt, il y a des randonneurs. Le chemin grimpe en direction de la chaîne du Lubéron, la pente durcit. J’ai tracé trop vite. Ces sinuosités blanches sur la carte électronique, ce sont les accès qu’utilisent les machines-outils. Il sont ravinés et cabossés, remplis de pierre, traversés de troncs . Quand je n’ai plus assez de forces pour tourner le pédalier (vélo de voyage monoplateau), je pousse. Arrivé au sommet, je suis à six cent mètres, Manosque est à l’est, Pertuis au sud; Apt à vingt kilomètres, derrière l’épaule et je vois deux lacs. Le chemin finit devant un réservoir, commence un sentier. Il me ramène vers le col où je retrouve la route. Céreste, Castelet, Saignon, je pédale pendant une heure, après quoi c’est de nouveau un chemin, la forêt, les sentiers. Derrière la clôture d’une ferme, un chien de pasteur — il me regarde. Est-ce que je vais m’engager? Mon lecteur de carte indique 7 kilomètres jusqu’à la maison. Pas de doute sur ce que cela signifie: grimper en poussant jusqu’au sommet, dévaler l’autre versant en portant le vélo. Je fais demi-tour, remonte sur le col, passe une bastide en rénovation, traverse l’excellent hameau de Fontjoyeuse dont les rues filent sous les maisons, retrouve au bout de 60 kilomètres le viticulteur et la maison.