L’avocat signale que l’on va pouvoir entrer dans la salle. A l’oreille, il me chuchote: “vous parlerez derrière un paravent, les accusateurs ne doivent pas vous voir”. Au même moment les accusateurs, pères et fils, passent devant nous. L’huissier me fait attendre. Quand les accusateurs sont assis, la juge appelle l’avocat, nous entrons. Le paravent est sur ma gauche. C’est un dispositif à volets. Cadre de métal, rectangles de tissu. En face, sur les estrades, de droite à gauche, mon avocat, la juge, le greffier. Sur la gauche, un écran de télévision géant. Il s’allume. Apparaît une femme. Elle est dans on bureau, à Saragosse, c’est le Procureur. Je vois le coin de l’écran, pas son visage. Je me penche, je repousse le volet du paravent. Le greffier: “il est interdit de toucher au paravent!”. La juge déclare la séance ouverte, lit le protocole. La parole est aux accusateurs. D’abord les mineurs. Le premier s’avance (je ne peux le voir, mais je sens qu’il s’est levé) et témoigne à la façon dont un enfant récite son poème devant le sapin de Noël — sans le comprendre. L’autre mineur, même texte, mais il se trompe, se reprend, s’embrouille, finit par donner une version sans rapport avec celle de son camarade. La juge appelle un père. Troisième version. L’autre père, quatrième version. L’avocat signale les contradictions. Elles n’ont pas échappé à la juge qui lance le train des questions. “Vous avez dit que… Or…”. Au bout de quelques minutes, c’est une telle gabegie que mon avocat se fend d’un clin d’ œil dans ma direction. Si l’on s’en tient à la version inventée par les pères et répétée par les fils, je suis un fou dangereux: j’ai agi par méchanceté, arbitrairement, dans la plus grande violence, envers des inconnus dans un lieu inconnu. A défaut, il faut s’achopper aux contradictions. Sortie de Tribunal, je dis à l’avocat: “s’ils ont raison, il faut m’enfermer!”. Il acquiesce. Mais s’inquiète: le Procureur n’a pas abandonné les charges, pire, elle a considéré qu’elles pouvaient être maintenues.