Mois : février 2022

Philosophie

Tra­vail­lant dans son cab­i­net, Fichte entend du vacarme au-dehors et demande à sa ser­vante la rai­son de ce bruit. Elle répond que ce sont les armées de Napoléon qui entrent dans la ville. “Fer­mez la fenêtre, cela n’a aucune importance.” 

Passion domestique

Tri­er dans les tiroirs.

Français

Les litotes de Jou­bert fruit d’une économie si fine de la langue que nos esprits obtus finis­sent leur lec­ture qu’ils n’en ont encore pas saisi le sens.

Littérature suisse

Ecrivain-fonc­tion­naire issu d’une école d’E­tat dont le livre sub­ven­tion­né par l’E­tat reçoit un prix d’Etat. 

Fondement

Rien de meilleur que boire de la bière autour d’une table de bistrot en philosophant.

Rencontre

Après avoir cam­pé l’été dernier dans un bois autrichien près de Riegl inter­dits que nous étions d’hô­tel par le train des mesures san­i­taires, j’ai con­duit d’une traite à tra­vers l’Alle­magne pour rejoin­dre en soirée la fron­tière suisse à Kreu­zlin­gen. Là, ma carte de télé­phone lâche. Un masque albanais à deux aigles sur la face, j’en­tre au super­marché, j’achète une recharge. La cais­sière m’aide. Un client me con­seille. Je tape des codes et des relances, rien n’y fait, l’écran du portable est noir. Le gérant vient à la rescousse. Il dicte les manip­u­la­tions, me com­pli­mente sur mon alle­mand qui est médiocre, je lui demande son orig­ine, il affiche un sourire: l’Al­ban­ie. Hyp­ocrite, je m’empresse de lui dire tout le bien que j’en pense (la pre­mière fois qu’en Europe je plonge en plein tiers-monde). Sincère en revanche quand je le remer­cie de sa sol­lic­i­tude et le félicite pour ses con­nais­sances tech­niques car il finit par redé­mar­rer le portable. Là-dessus je rejoins le park­ing. Evola monte en voiture, je prends le volant. Je déboîte lorsqu’un chauf­feur à bord d’une Mer­cedes agite la main par la vit­re abais­sée. Come on fait dans ces cir­con­stances, je demande: “nous nous con­nais­sons?”. C’est l’Al­banais, sans son masque. Sur le park­ing, nous échangeons nos numéros de télé­phone. Il me remer­cie chaleureuse­ment: “enfin un Suisse sym­pa­thique!”. Mais voilà, j’y pen­sais hier, jamais je n’ai retrou­vé son numéro, prob­a­ble­ment ai-je fait une fausse manip­u­la­tion et je m’en veux quand je songe que for­cé­ment, il doit penser que je l’ai fait exprès. 

Solitude

Un des formes de sur­mon­ter la soli­tude et même de l’ou­bli­er est de lui imprimer une régu­lar­ité d’hor­loge; alors, du matin au soir, suiv­ant des étapes con­stantes et bien com­pris­es, le soli­taire va de soi à soi-même.

Caractère

L’in­tel­li­gence des petites filles intel­li­gentes me fascine. Cette lucid­ité, ce car­ac­tère, cette lib­erté de ton dis­parais­sent avec la femme dont la per­son­nal­ité est brusque­ment trans­for­mée dès lors qu’elle éprou­ve le besoin d’aimer les hommes et à la fois de s’en défendre.

Dominical

Balade dans la val­lée d’Er­nas. Sur la descente, je croise Manuela occupée à l’écurie puis Maria qui claudique sur sa canne par­mi cent mou­tons. Au loin, coup de feu des chas­seurs. Dans le creux de la riv­ière, une voiture gris métal devant la grange rénovée des Pajares. L’oc­ca­sion de se deman­der si c’est là qu’ont trou­vé refuge ces Israéliens dont par­le le vil­lage; l’employé munic­i­pal m’a racon­té que le cou­ple avait jeté son dévolu sur ce lieu après avoir cal­culé que la mon­tée des eaux de mer n’af­fecterait pas le par­age avant 2048. A l’en­trée du vil­lage sont les vach­es. Les pau­vres, la bouse sèche forme d’é­paiss­es brelo­ques sur leurs flancs. En Suisse, garçon de ferme à Faoug en 1992, la paysanne m’oblig­eait à bross­er les seize indi­vidus après chaque traite. Pro­gres­sant vers l’en­trée sud du vil­lage, je m’in­téresse aux maisons inhab­itées, spécu­lant sur les pro­prié­taires et les héri­tiers quand me vient à l’e­sprit cette évi­dence, innom­brables sur ces ter­res de l’Es­pagne vide les enfants qui reçoivent une mai­son et des ter­rains, heureux bagage qui per­met d’en­vis­ager autrement l’ef­fort et le tra­vail. Or, quand j’at­teins ma rue, Jésus, Lan­ga et Sanz sont près de la fontaine et par­lent pré­cisé­ment héritage. Tous vivent dans des maisons reçues de leurs pères, pren­nent leur bois dans les forêts des aïeuls, cul­tivent des potagers appar­tenant à la famille mais évo­quant ces héritages l’un dit: ” un enfer! sur le clôt de Fer­nán, nous étions onze héri­tiers!” et l’autre: “j’ai un apparte­ment à Bil­bao, j’en pos­sède une tren­tième par­tie, c’est que nous étions sept frères et sœurs et cha­cun a eu des enfants…”. “Moi, dit le dernier, si on devait ven­dre le pré Bor­dán, je toucherais moins de mille euros”.

Crass

Pris en étau entre deux mods anglais si grands qu’il feuil­let­tent sans peine les albums du bac à dis­ques auquel je n’ai pas accès quand l’un d’en­tre eux extrait le Feed­ing of the 5000 de Crass. Je con­nais bien Crass, leur dis-je, j’ai des vinyls orig­in­aux dans ma col­lec­tion, les sin­gles, les livres, les inter­views du groupe et les Anglais fascinés me répon­dent, mais je ne com­prends pas un mot à leur “cock­ney”, perds l’a­van­tage, ne parviens pas à me faire enten­dre, n’ai plus accès au bac, aux dis­ques, à la con­ver­sa­tion. Réveil­lé, il est trois heures du matin et je me sou­viens de cette let­tre écrite en 1982 à Crass pour deman­der des con­seils sur les tech­niques d’ex­ten­sion du Cen­tre autonome de Lau­sanne, demande à laque­lle le groupe de Joy de Vivre, Eve Lib­er­tine et Pen­ny Rim­baud avait répon­du sur trois pages, à la plume, avec sig­na­tures et envoi de badges de l’époque Christ-the album.