Travaillant dans son cabinet, Fichte entend du vacarme au-dehors et demande à sa servante la raison de ce bruit. Elle répond que ce sont les armées de Napoléon qui entrent dans la ville. “Fermez la fenêtre, cela n’a aucune importance.”
Mois : février 2022
Rencontre
Après avoir campé l’été dernier dans un bois autrichien près de Riegl interdits que nous étions d’hôtel par le train des mesures sanitaires, j’ai conduit d’une traite à travers l’Allemagne pour rejoindre en soirée la frontière suisse à Kreuzlingen. Là, ma carte de téléphone lâche. Un masque albanais à deux aigles sur la face, j’entre au supermarché, j’achète une recharge. La caissière m’aide. Un client me conseille. Je tape des codes et des relances, rien n’y fait, l’écran du portable est noir. Le gérant vient à la rescousse. Il dicte les manipulations, me complimente sur mon allemand qui est médiocre, je lui demande son origine, il affiche un sourire: l’Albanie. Hypocrite, je m’empresse de lui dire tout le bien que j’en pense (la première fois qu’en Europe je plonge en plein tiers-monde). Sincère en revanche quand je le remercie de sa sollicitude et le félicite pour ses connaissances techniques car il finit par redémarrer le portable. Là-dessus je rejoins le parking. Evola monte en voiture, je prends le volant. Je déboîte lorsqu’un chauffeur à bord d’une Mercedes agite la main par la vitre abaissée. Come on fait dans ces circonstances, je demande: “nous nous connaissons?”. C’est l’Albanais, sans son masque. Sur le parking, nous échangeons nos numéros de téléphone. Il me remercie chaleureusement: “enfin un Suisse sympathique!”. Mais voilà, j’y pensais hier, jamais je n’ai retrouvé son numéro, probablement ai-je fait une fausse manipulation et je m’en veux quand je songe que forcément, il doit penser que je l’ai fait exprès.
Dominical
Balade dans la vallée d’Ernas. Sur la descente, je croise Manuela occupée à l’écurie puis Maria qui claudique sur sa canne parmi cent moutons. Au loin, coup de feu des chasseurs. Dans le creux de la rivière, une voiture gris métal devant la grange rénovée des Pajares. L’occasion de se demander si c’est là qu’ont trouvé refuge ces Israéliens dont parle le village; l’employé municipal m’a raconté que le couple avait jeté son dévolu sur ce lieu après avoir calculé que la montée des eaux de mer n’affecterait pas le parage avant 2048. A l’entrée du village sont les vaches. Les pauvres, la bouse sèche forme d’épaisses breloques sur leurs flancs. En Suisse, garçon de ferme à Faoug en 1992, la paysanne m’obligeait à brosser les seize individus après chaque traite. Progressant vers l’entrée sud du village, je m’intéresse aux maisons inhabitées, spéculant sur les propriétaires et les héritiers quand me vient à l’esprit cette évidence, innombrables sur ces terres de l’Espagne vide les enfants qui reçoivent une maison et des terrains, heureux bagage qui permet d’envisager autrement l’effort et le travail. Or, quand j’atteins ma rue, Jésus, Langa et Sanz sont près de la fontaine et parlent précisément héritage. Tous vivent dans des maisons reçues de leurs pères, prennent leur bois dans les forêts des aïeuls, cultivent des potagers appartenant à la famille mais évoquant ces héritages l’un dit: ” un enfer! sur le clôt de Fernán, nous étions onze héritiers!” et l’autre: “j’ai un appartement à Bilbao, j’en possède une trentième partie, c’est que nous étions sept frères et sœurs et chacun a eu des enfants…”. “Moi, dit le dernier, si on devait vendre le pré Bordán, je toucherais moins de mille euros”.
Crass
Pris en étau entre deux mods anglais si grands qu’il feuillettent sans peine les albums du bac à disques auquel je n’ai pas accès quand l’un d’entre eux extrait le Feeding of the 5000 de Crass. Je connais bien Crass, leur dis-je, j’ai des vinyls originaux dans ma collection, les singles, les livres, les interviews du groupe et les Anglais fascinés me répondent, mais je ne comprends pas un mot à leur “cockney”, perds l’avantage, ne parviens pas à me faire entendre, n’ai plus accès au bac, aux disques, à la conversation. Réveillé, il est trois heures du matin et je me souviens de cette lettre écrite en 1982 à Crass pour demander des conseils sur les techniques d’extension du Centre autonome de Lausanne, demande à laquelle le groupe de Joy de Vivre, Eve Libertine et Penny Rimbaud avait répondu sur trois pages, à la plume, avec signatures et envoi de badges de l’époque Christ-the album.