Les femmes aiment les misogynes; comme elles ne risquent rien, elles risquent tout.
Mois : février 2022
Manuel
Aux élèves de seconde étudiant la littérature en 2015, Hatier propose son “Livre unique” (sous la direction de Xavier Damas). Sa particularité est qu’on n’y comprend goutte. Conçu par des pédagogues qui sont des incultes ou des fous ou incultes fous, il assemble des extraits de textes de toutes les époques autour de thèmes aussi étranges que “Les pouvoirs du discours” ou “Romantisme et engagement” de sorte que se côtoient Villiers de l’Isle d’Adam, Michel Butor et Aristophane sur la même double page mais encore catapulté au milieu du lot, par révérence idéologique, un hommage a Barack Obama ou un dialogue policier de Fred Vargas. Qu’aux prises avec pareil fatras l’élève situe Albert Camus dans la Grèce antique et fasse de Rabelais un compagnon de route du Nouveau Roman ne m’étonnerait pas. Pour moi, l’ayant lu de bout en bout (hors “exercices de compréhension”), j’en sais un peu moins qu’auparavant. Peut-être est-ce en cela que ce livre est “unique”.
Rousseau 2
Si la société pervertit l’homme, c’est d’abord moyennant le vol du travail. Progrès dans le capitalisme primitif, ce vol devient diabolique. Il cure jusqu’à l’os l’humanité du corps social. Mais peut-être le terme “primitif” relève-t-il d’un vouloir-croire; peut-être le vol en tant que principe technique contient-il déjà sa fin; peut-être que le diabolique est inscrit dans le primitif. Dans quel cas la nature n’est retrouvée qu’au prix de l’effondrement de la société, après quoi intervient le retour du même.
Procès 6
Afin de ne manquer aucun courrier, je domicilie au début de l’affaire la correspondance légale auprès de l’avocat. Hier sonne à ma porte la facteur. Elle apporte les conclusions de la procédure. La loi m’oblige à en prendre connaissance, ce qui veut dire que je dois confirmer la réception du pli par une signature. Sauf que la facteur ne réussit pas à scanner le code d’enregistrement du Tribunal. Elle va chercher de l’aide en mairie. N’en trouve pas. Revient. Pose le pli au sol, sort son pistolet, scanne encore et encore. Refusé. “C’est sans importance, lui dis-je, le Tribunal peut envoyer à l’avocat, j’ai payé pour ça”. Fin d’après-midi, l’avocat m’appelle: “tu aurais dû accepter le pli Alexandre, c’est obligatoire!”. Il me m’enjoint d’aller le chercher chez le procureur. “Je ne peux pas, dis-je, je suis débordé!”. Pas faux: j’ai prévu de faire du vélo et de cuisiner un filet mignon. L’avocat insiste: faute de récupérer le pli, nous ne pourrons pas faire recours. Le surlendemain, je vais au Tribunal de Puente. Le garde civil me dit d’appuyer sur une petite sonnette scotchée sur une table. Un fonctionnaire en pantoufles sort d’un cagibi. J’explique mon affaire. “Pourquoi n’avez-vous pas accepté le pli?”. Je réexplique. Il soupire: “c’est impossible”. Je monte le ton (en Espagne on ne monte pas le ton, c’est comme pour la Thaïlande bouddhiste, une fois le ton monté le dérapage est proche”. Le pantouflard se résigne: il va falloir travailler le problème. “Nom du procureur?”. Comme si j’avais retenu le nom d’une femme vue sur un écran! L’ai dégoûté, le pantouflard rentre dans le cagibi. Dix minutes s’écoulent. Enfin il montre la tête: “j’arrive”. Il arrive. Le papier à hauteur des fesses, la démarche d’un canard qui sort de son jus. Derrière le paravent anti-bactéries, il soulève le papier comme s’il pesait dix kilos, remonte des lunettes sur un nez gras, fixe le document et déclare: “vous avez été condamné”.