Procès 6

Afin de ne man­quer aucun cour­ri­er, je domi­cilie au début de l’af­faire la cor­re­spon­dance légale auprès de l’av­o­cat. Hier sonne à ma porte la fac­teur. Elle apporte les con­clu­sions de la procé­dure. La loi m’oblige à en pren­dre con­nais­sance, ce qui veut dire que je dois con­firmer la récep­tion du pli par une sig­na­ture. Sauf que la fac­teur ne réus­sit pas à scan­ner le code d’en­reg­istrement du Tri­bunal. Elle va chercher de l’aide en mairie. N’en trou­ve pas. Revient. Pose le pli au sol, sort son pis­to­let, scanne encore et encore. Refusé. “C’est sans impor­tance, lui dis-je, le Tri­bunal peut envoy­er à l’av­o­cat, j’ai payé pour ça”. Fin d’après-midi, l’av­o­cat m’ap­pelle: “tu aurais dû accepter le pli Alexan­dre, c’est oblig­a­toire!”. Il me m’en­joint d’aller le chercher chez le pro­cureur. “Je ne peux pas, dis-je, je suis débor­dé!”. Pas faux: j’ai prévu de faire du vélo et de cuisin­er un filet mignon. L’av­o­cat insiste: faute de récupér­er le pli, nous ne pour­rons pas faire recours. Le surlen­de­main, je vais au Tri­bunal de Puente. Le garde civ­il me dit d’ap­puy­er sur une petite son­nette scotchée sur une table. Un fonc­tion­naire en pan­tou­fles sort d’un cagibi. J’ex­plique mon affaire. “Pourquoi n’avez-vous pas accep­té le pli?”. Je réex­plique. Il soupire: “c’est impos­si­ble”. Je monte le ton (en Espagne on ne monte pas le ton, c’est comme pour la Thaï­lande boud­dhiste, une fois le ton mon­té le déra­page est proche”. Le pan­tou­flard se résigne: il va fal­loir tra­vailler le prob­lème. “Nom du pro­cureur?”. Comme si j’avais retenu le nom d’une femme vue sur un écran! L’ai dégoûté, le pan­tou­flard ren­tre dans le cagibi. Dix min­utes s’é­coulent. Enfin il mon­tre la tête: “j’ar­rive”. Il arrive. Le papi­er à hau­teur des fess­es, la démarche d’un canard qui sort de son jus. Der­rière le par­avent anti-bac­téries, il soulève le papi­er comme s’il pesait dix kilos, remonte des lunettes sur un nez gras, fixe le doc­u­ment et déclare: “vous avez été condamné”.