Poubelle si petite que l’on ne peut rien y mettre sinon cette affiche: tout détritus placé en dehors de la poubelle est susceptible d’une amende de 5000 Lei.
Mois : septembre 2021
Complexe
Si nous acceptons cet inacceptable, que l’on chasse la vie de nos sociétés, c’est que nous avons auparavant, chacun, à force de minuscules concessions, mutilations, renoncements chassé la vie de nos existences. Aujourd’hui soulagés d’entendre le pouvoir, les pouvoirs et leurs supplétifs donneurs de leçons, agents de caution, réassureurs, nommer vraie, juste, nécessaire cette attaque massive contre la vie.
Est 22
Petite fille assise sur la banquette arrière de la voiture. Nous sommes dans un embouteillage à la périphérie de Sofia. Je lui souris. Elle sourit. Je fais un signe. Elle fait un signe. Remuant les lèvres, je parle comme les muets. Elle m’imite. Puis le père comble le vide devant lui, la petite fille n’est plus là.
Est 21
Palais des Ceaucescu. Aux alentours de cette colossale pâtisserie, le néant. Nous sommes samedi. Depuis l’hôtel, pas croisé une âme. La Dambovita charrie les eaux jaunes de l’orage à travers une ville fantôme. Pourquoi? Le jour est-il férié? Je désigne les arcades. Celles qui devraient être ouvertes sont fermées. Les autres sont abandonnées, démolies, brûlées, effondrées. De même que les immeubles. Deux sur trois sont borgnes. A l’horizon, le Palais. Presque rassurant. Evola l’a visité il y a vingt ans. Nous entrons par la petite porte. Vingt visiteurs, tous étrangers. Nous prenons la file pour obtenir un ticket. Devant nous, un Français au profil Guide Michelin. Sans un bonjour, une grosse femme lui aboie dessus: “avez-vous réservé! Vous comprenez ce que je dis! Alors, de côté!”. Le Français va rejoindre le groupe des refoulés que chapeaute un bonhomme en uniforme qui lui aussi aboie. Evola à ce mot: “c’est pour nous mettre dans l’ambiance”. Or ce sont juste des fonctionnaires. Frustrés. Un samedi. Dans Bucarest. Fin du projet de visite. Le Français reste. Nous lui souhaitons bonne chance. Retour dans le parc Izvor. Jeux d’enfants sans enfants. Kiosque à glace au rideau à demi tiré. Derrière un bosquet, une tente de camping. Puis, franchissant les grilles du parc, à nouveau ces immeubles verts de mousses, bariolés de graffiti, éventrés, tombants. Evola annonce qu’il se réfugie dans sa chambre. Je fais pareil, aligne des pompes, prend une douche, bois une bière, aligne d’autres pompes. A la faveur d’une accalmie je sors, arpente les rues du district rouge, regarde les filles se préparer, attends Evola sur la terrasse du Oktoberfest.
Est 19
Coups de tonnerre au-dessus de Bucarest. Des éclairs de chaleur strient le gris du ciel. A nouveau, grande difficulté à trouver l’hôtel. Le Old Bucuresti. Les photographies sont trompeuses. Notre époque de marketing général abuse du grand angle. Les chambres ressemblent à des salons, les bâtiments à des buildings, les jardins à des terrains de foot. Puis il y a la fatigue. Pour entrer en Roumanie depuis Sofia, j’ai roulé sur la plus dangereuse des routes. La voie est étroite, bombée, brisée, mais rectiligne. Sur le côté, des putains gitanes, des paysans, des carcasses de voitures. Tout le monde dépasse. Le rétroviseur? A quoi bon? Le calcul de la distance? Inutile. L’anticipation? Pour les mauviettes. Ici, la conduite est une affaire d’honneur. Il faut défier la mort. Quand je peux, je me cache derrière un camion, quand c’est impossible je serre les dents. D’où cette fatigue à l’arrivée, après quatre heures d’effroi. Et la journée n’est pas finie. Maintenant que nous avons repéré l’hôtel, il s’agit de garer la Dodge. Le géomètre était amoureux. Les cases dessinées au sol sont naines. J’essaie. J’essaie encore. Je renonce. L’orage éclate. Le réceptionniste accourt avec un parapluie. Il désigne un terrain vague. “Un parking officiel”, dit-il. Je m’y rends. Une paire de Roms m’accueille. Trop heureux de me débarrasser de la voiture, je paie. Nous mangeons chez un Italien. Avec la nuit, la pluie cesse. Nous sortons: mille personnes dansent dans la rue au son de la techno, des filles a demi-nues aguichent depuis les estrades, les stroboscopes tournent. Pas de virus dans cette capitale sauf à l’hôtel où les restrictions sont appliquées à la lettre, pour les touristes, dès fois que ceux-ci se mettent en tête de critiquer le plan sanitaire de l’établissement (le délire est tout occidental). Le lendemain, Evola me réveille: “le gardien du parking menace d’appeler la police”. Les Roms, rien à voir avec le terrain vague. De passage.
H+ (2)
Plus besoin d’amis, d’amour, de Dieu. L’individu est maître des transformations. Il surmodifie le corps et l’esprit. Au moyen d’outils psychiques et techniques, il cherche à atteindre à chaque instant la jouissance la complète. Dynamique et obsessionnel, ce régime est nécessairement solitaire. L’homme est une entreprise qui produit du surhumain (et du sous-humain). Gageons qu’une fois atteinte la limite des possibilités de transformation, l’individu transhumaniste ressemblera à ces usines abandonnées des ex-pays communistes.