Mois : septembre 2021

Suite

 

Au télé­phone ce soir, Gala qui se promène sur un quai de mer de la Côte d’Azur: “mais où va-t-on aller?”. La réponse unique, toute sig­nifi­ante: le déplace­ment est affaire du passé, où que nous allions nos vies sont extérieure­ment non-modifiables. 

Capitalisme funéraire

Pour créer beau­coup d’ar­gent il faut créer beau­coup de pau­vreté. La ques­tion est donc celle du vol­ume dans lequel se déroule l’opéra­tion. Où sont les pau­vres, à quelle dis­tance, quel est leur vol­ume d’expansion?

Aveu

Stend­hal d’un extra­or­di­naire prag­ma­tisme lorsqu’il s’ag­it de dévoil­er les couliss­es de son tra­vail, qu’il s’agisse d’amour, de lucre ou de poésie. Il dit par exem­ple (de mémoire): “il m’a fal­lut une heure cinquante pour écrire ce vers”. Ici, la con­fesse est mar­que de con­fi­ance en soi.

Témérité

Au retour du Tri­bunal, sur la por­tion droite de la nationale, un cycliste pédalant de toutes ses forces dans le vide aspiré d’un semi-remorque qui grav­it la côte à 60km/h. Image filmée et redis­tribuée dans le groupe, alors que l’ex­ploit est en cours. D’avis unanime: “que le camion freine un peu, il est mort!”. 

Communauté

Dis­cus­sion avec un ancien moine du monastère de San Juan. L’é­trange est la présence con­stante dans le réc­it de son chemin de spir­i­tu­al­ité des préoc­cu­pa­tions banales. Celles qu’il faut vain­cre et qu’il ne sut — de son pro­pre aveu — pas vain­cre. Non pas tant les obses­sions très catholiques de la chair, mais la par­tic­i­pa­tion au monde au sens de l’ac­tiv­ité plus large — ami­cale, frater­nelle, rela­tion­nelle — quoique sou­vent moins agis­sante, en quelque sorte la sym­pa­thie sociale. Or, quand j’y songe, je me dis que c’est d’abord là ce dont on fait son deuil lorsque l’on se tourne vers une com­mu­nauté d’en­tente sur laque­lle on mise pour s’ex­hauss­er. Si j’avais à me tourn­er vers une com­mu­nauté qui tend au sacre com­porte­men­tal d’une idée, ce serait au motif que j’en ai assez des tristes com­bi­naisons qui font société par défaut.

Hier, demain

Avec des immi­grés, on ne fait pas une société, on fait de l’ar­gent. Le précé­dent enseigne ici la suite des événe­ments. A l’in­star de la France, la Suisse devien­dra une poubelle.

Amour-déni

Ce que dit Ionesco dans ses Notes me paraît s’adapter idéale­ment à la séquence poli­tique qui défait minute après minute nos vies depuis plus d’un an: “Si je fai­sais sem­blant d’aimer ce que je déteste, je détesterais moins, j’aimerais peut-être, je me lais­serais faire, je me lais­serais vio­l­er, je fini­rais par ador­er. Il me suf­fit de dire que je ne suis pas vain­cu par l’o­gre mais que l’o­gre n’est pas un ogre et qu’il est amour, qu’il est la révo­lu­tion béné­fique. C’est ain­si qu’on s’en sort. C’est ain­si qu’on adopte les tyrans.”

Théâtre

Bien dor­mi en cette veille de procès. J’ai “pen­sé à autre chose”. Dans mon cas, une prouesse. L’âge aide. Ou plutôt l’ex­péri­ence. J’a­joute: c’est de la jus­tice dont j’ai peur, pas des plaig­nants. Milieu de mat­inée, je suis assis sur un long banc de mar­bre avec d’autres jus­ti­cia­bles, devant le Tri­bunal de Puente, un vilain édi­fice de béton. Les avo­cats vont et vien­nent, ren­seignent leurs clients, dans les groupes la ner­vosité est pal­pa­ble. Les con­cil­i­a­tions se font à l’om­bre d’un hibis­cus, dans un angle du park­ing. Les com­paru­tions pren­nent du retard. D’une demi-heure, l’at­tente passe à deux heures puis à trois. Entre deux défens­es mon avo­cat sort sur l’e­s­planade:  “tu as vu pass­er les enfants?” (il y a des enfants dans mon affaire). Non, pas vu. Puis à l’heure du repas, lorsque l’huissier m’ap­pelle enfin, que les Gardes civiles me font pass­er par la détecteur à métaux, je prends place face à la tri­bune, dans la chaise que l’on me désigne, la plus éloignée des deux plaig­nants. Et me tourne vers eux, et les fixe. La tête basse, les mains sur les cuiss­es, l’air inqui­et, veil­lant à ce que rien ne remue de leur corps, ils sont vis­i­ble­ment impres­sion­nés par ce qu’ils ont déclenché. Impres­sion­ner, c’est la fonc­tion du déco­rum:  dra­peau de l’Es­pagne à droite, dra­peau de la Com­mu­nauté à gauche, por­trait du roi au cen­tre et au pied du roi le micro dans lequel nous par­lerons lorsque le juge nous appellera à la barre. Qu’at­ten­dons-nous? Que la représen­tante de la par­tie civile appa­raisse. Par cette porte qui s’ou­vre dans le mur j’imag­ine. Le silence est pesant. Les plaig­nants se recro­quevil­lent. Pour se don­ner une con­te­nance, mon avo­cat feuil­lette le dossier. Que le théâtre soit un élé­ment clef du dis­posi­tif, pour une fois je m’en réjouis: à lorgn­er en direc­tion des plaig­nants en train­ing, l’air minable, on croirait que ce sont eux les jus­ti­cia­bles. Mais j’avais faux: la représen­tante de l’E­tat est en visio­phonie de Madrid. A l’écran, elle ordonne: “allons‑y!”. Le juge mar­monne dans son masque. C’est incom­préhen­si­ble. Mon avo­cat for­mule une objec­tion tout aus­si incom­préhen­si­ble (même rai­son, le masque), mais je com­prends: il demande “où sont les enfants?”, fait val­oir que leur paru­tion est req­uise. Echanges de regards entre le juge et la représen­tante de Madrid: objec­tion accep­tée, séance reportée. Amu­sant de voir alors la tête des plaig­nants. Naïve­ment, ils pen­saient que j’al­lais sor­tir menot­té et eux repar­tie avec un chèque en poche. Les voilà qui se dandi­nent sur leurs chais­es, inter­ro­gent silen­cieuse­ment, paniquent: ils ont com­pris qu’il va fal­loir apporter les enfants dans cette salle, face au roi, face aux dra­peaux. Le plus petit des deux (celui qui à mon sens a tout échafaudé) s’adresse au juge en bégayant: “…je… n’ai pas tout com­pris, mais… ça veut dire qu’il va fal­loir revenir?”.  Ramas­sant ses papiers, le juge con­firme. Le petit: “est-ce qu’il est encore temps… je pour­rais moi aus­si pren­dre un avo­cat?”. Le juge approu­ve. “Un avo­cat gra­tu­it?”. “Com­mis d’of­fice, vous voulez dire?” cor­rige le juge. 

Voyage

Après cinq mois de brico­lages afin de trans­former le Grav­el en vélo de voy­age (avec tente et cui­sine), je pars demain matin pour un aller-retour Puente-Madrid de 1200 kilomètres.

Ionesco

“[] … celui qui n’a pas tout à fait per­du le sou­venir, même obscur, du par­adis, souf­frira sans cesse. Il se sen­ti­ra appelé par le monde essen­tiel, par cette voix qui vient de telle­ment loin qu’il n’en peut con­naître la direc­tion, qui ne peut le guider.” Extrait de Présent passé passé présent.