Est 9

A l’entrée du tun­nel, le pan­neau jaune dit Tsra. Devant la voûte, j’arrête la voiture. Avance. Noir com­plet. Creusé dans le flanc de la mon­tagne, le tun­nel est bas et rond. J’avance encore : pas de lumière à l’autre bout. C’est pour­tant le point de départ des routes les plus fréquen­tées du pays, les routes1et 2 qui du bar­rage sur la Piwa mènent dans le Dur­mi­tor, un ensem­ble alpestre couron­né du som­met du Mon­téné­gro, le Zla Kola­ta. Le pre­mier tun­nel donne sur un sec­ond tun­nel, un troisième tun­nel et ain­si jusqu’à dix tun­nels, peut-être plus, ce qui per­met à la route de mon­ter en cré­mail­lère dans la paroi de la gorge. Au débouché, un plateau d’herbe rase semé de granges aux toits coniques, des chevaux naturels, des enc­los de bran­chage et der­rière les collines des pics noirs et bleus. Le bivouac instal­lé au fond d’une prairie (deux tentes mono­places, la voiture, son frigidaire), je pars courir au milieu des mou­tons et des vach­es. Au retour, les voisins tchèques allu­ment un feu, empoignent les gui­tares et les bouteilles. Toute la nuit, ils chantent. Le matin, je pré­pare mon vieux Vil­liger (30 ans que je roule ce vélo) et vais chercher der­rière les cols, le plateau et le défilé, le pre­mier tun­nel, celui qui com­porte le pan­neau Tsra. Je mange une barre de céréales, tourne le vélo, com­mence l’ascension. Trente-trois kilo­mètres de pente. Deux pas­sages à treize pour cent. Après Pisce, dans les derniers lacets, le ther­momètre mar­que trente-six degrés. Revenu au bivouac, je manque m’évanouir. Couche le vélo. Me couche. Cuits une casse­role de bouil­lon. Mieux. Mais nous avons fini les pro­vi­sions. Il reste de l’eau chaude dans le bidon. Je bois l’eau, puis finis le vin et j’attends. Par­ti escalad­er le som­met du Mon­téné­gro, Evola s’est per­du. Récupéré sur les bor­ds d’un lac par l’ancien cham­pi­on nation­al cycliste (un tour de France), il réap­pa­raît au cré­pus­cule érein­té et le ven­tre creux.