A l’entrée du tunnel, le panneau jaune dit Tsra. Devant la voûte, j’arrête la voiture. Avance. Noir complet. Creusé dans le flanc de la montagne, le tunnel est bas et rond. J’avance encore : pas de lumière à l’autre bout. C’est pourtant le point de départ des routes les plus fréquentées du pays, les routes1et 2 qui du barrage sur la Piwa mènent dans le Durmitor, un ensemble alpestre couronné du sommet du Monténégro, le Zla Kolata. Le premier tunnel donne sur un second tunnel, un troisième tunnel et ainsi jusqu’à dix tunnels, peut-être plus, ce qui permet à la route de monter en crémaillère dans la paroi de la gorge. Au débouché, un plateau d’herbe rase semé de granges aux toits coniques, des chevaux naturels, des enclos de branchage et derrière les collines des pics noirs et bleus. Le bivouac installé au fond d’une prairie (deux tentes monoplaces, la voiture, son frigidaire), je pars courir au milieu des moutons et des vaches. Au retour, les voisins tchèques allument un feu, empoignent les guitares et les bouteilles. Toute la nuit, ils chantent. Le matin, je prépare mon vieux Villiger (30 ans que je roule ce vélo) et vais chercher derrière les cols, le plateau et le défilé, le premier tunnel, celui qui comporte le panneau Tsra. Je mange une barre de céréales, tourne le vélo, commence l’ascension. Trente-trois kilomètres de pente. Deux passages à treize pour cent. Après Pisce, dans les derniers lacets, le thermomètre marque trente-six degrés. Revenu au bivouac, je manque m’évanouir. Couche le vélo. Me couche. Cuits une casserole de bouillon. Mieux. Mais nous avons fini les provisions. Il reste de l’eau chaude dans le bidon. Je bois l’eau, puis finis le vin et j’attends. Parti escalader le sommet du Monténégro, Evola s’est perdu. Récupéré sur les bords d’un lac par l’ancien champion national cycliste (un tour de France), il réapparaît au crépuscule éreinté et le ventre creux.