Près d’Opuzen, moment de réflexion dans une station-service en bord de route. A Metkovic, nous avons essayé de mettre la main sur le docteur Colic afin de faire le test. La blanchisseuse qui partage son local nous renseigne: il est en vacances. D’où cet arrêt. D’où ce moment de doute. Evola roule une cigarette, j’ouvre une bière Karlovacko. Dans le sud de la Croatie, les villes de Split et Dubrovnik sont séparées par le couloir maritime octroyé aux Bosniaques suite aux négociations de sortie de guerre. Capitale, Neum. Esthétique : Biarritz dans les Balkans sans le charme ni les vagues. Cependant le jeune douanier a été clair: sans test ni vaccin, nous pouvons aller de Croatie en Croatie, pas s’attarder en Bosnie. “La région de Dubrovnik étant la plus fréquentée du pays, nous allons retrouver les Allemands, les Autrichiens, les Italiens à bord de leurs caravanes fourre-tout, la promiscuité du plaisir commercial et des prix surfaits”, fais-je valoir. Evola approuve. D’accord pour dire que ce monde de grands vacanciers côtoyé contre notre gré depuis le Capo d’Istria, il faut le quitter dès que possible. Justement, telle est la Bosnie, un territoire sans grâce ni réclame. Une heure plus tard, nous tentons donc une fois encore notre chance à la frontière (poste de Klek?) précédés d’une voiture d’Italiens et suivis d’une voiture de Slovènes. C’est à peine si la douanière vise nos passeports. Dès que le poste disparaît de la vue, nous dégageons du convoi de touristes, grimpons la première route sur la droite, suivons la direction d’une ville choisie pour sa position centrale en Republika Serbska (les Bosno-serbes), Stovac. A la tombée de la nuit, après avoir roulé sur des voies flambant neuves puis cahoté sur des chemins muletiers, longé des lits de rivières impressionnistes flanqués de cimetières mahométans et gravi des cols sans forme ni fin, nous débarquons dans Bileca. Le village-agglomération domine un lac de barrage terreux. Un hôtel se dresse sur la berge. A en croire les jardins empierrés de blanc, le gazon rutilant, l’éclairage étudié, nous sommes devant l’hôtel chic de la région. Si l’on nous refuse une chambre, la raison est évidente: les étages sont en chantier, le chantier à l’abandon, le building est une coquille vide. Après six cent kilomètres et huit heures de conduite, reprendre le volant alors que l’on touchait au but a quelque chose de décourageant. Problème bientôt réglé. Au carrefour de la route qui mène au Monténégro, entre la carcasse d’un avion de combat abattu par la DCA locale et un hangar de béton couvert de graffitis, une excellente matrone au sourire diaphane tient le Restoran Fortuna. Il y a des chiens, des chats, des parasols publicitaires Niksicki, les escaliers sont de ciment brut, les chambres plus vastes que des salons, les téléviseurs de bois et la dame parle le français (appris à l’école).