Dans les beaux quartiers de Madrid aux rues larges et claires, Goya, Chamberí, Arguëlles. Les arbres sont verts, l’air est tiède, les conversations partout. Peu de trafic, aucun touriste. Un été inhabituel: même sur la Gran Via, boulevard kitsch de la capitale, on parle espagnol. En coulisse, partout où les vieilles bâtisses offrent un trou les Chinois rangent et comptent, mais eux aussi vaquent lentement. Il y a quarante ans, je me promenais tous les mercredis, jour sans classes, dans Madrid. C’était mon plus grand loisir. Je marchais des heures, ne m’arrêtais que pour demander un verre d’eau dans un bar. Vêtus de blanc, les garçons le servaient avec des glaçons et une longue cuillère. La ville a changé. Moins que d’autres cependant, les restes de la civilisation antérieure sont toujours là: kiosques de fonte, cafés garnis d’azulejos, concierges dans leurs loges, aveugles criant la loterie. Un commerce sur trois est à l’abandon, pourtant chacun se comporte si de rien n’était (du moins ici, au centre, côté rentiers). Puis cette chose étrange dont il serait trop long de tirer une explication: quoique l’obligation ait été levée il y a un mois déjà, tous les Madrilènes vont affublés d’un masque. Tout à l’heure, une ravissante gamine masquée nous ouvrait l’appartement de location. Il est immense, décoré de peinture moderne, possède un balcon à balustres qui donne sur une rue tranquille. A son pied, sur un tréteau, les tables d’un restaurant huppé. Un couloir de parquet mène aux chambres. Les enfants s’extasient sur le jacuzzi, la douche de marbre blanc, les hauts lits. Aussitôt finies les formalités, nous sortons explorer. A une heure du matin, les gens sont toujours sur les terrasses et boivent, et mangent. Le lendemain, journée Aplo: il s’agit de lui acheter des costumes deux-pièces en prévision de son entrée chez Bucherer. L’affaire n’est pas simple muni qu’il est d’un “code couleurs” désignant les nuances légales pour chaque élément, pantalon, veste, cravate, chaussettes, chaussures — pour moi, je n’ai jamais lacé une cravate. Surlendemain, journée Luv: il s’agit de visiter des logements étudiants car elle commence une école de graphisme dans la capitale.