Mois : avril 2021

Maison (2)

Con­crète­ment, bal­ancer l’herbe et les cen­dres dans la riv­ière, acheter des légumes et des “salmon­etes” chez l’épici­er Oskar (une heure sur le banc com­mu­nal — je passe après la doyenne et les paysannes), négoci­er une planche de 7 kilos dont je ferai le revête­ment de ma cible pour le lancer de haches, allumer le feu, débâch­er le VTT rap­porté de Mala­ga il y a trois ans, le dégraiss­er, ten­dre les câbles, l’a­juster,  moudre des carottes et un radis noir pour un jus, répar­er un moulin à café du XIXème, voir les dernières paru­tions de la col­lec­tion Bouquins-clas­siques, enquêter sur les moyeux-dynamos pour vélos Gran­Fon­do, enfin, avant de cuisin­er un filet mignon aux cèpes, accom­pa­g­n­er l’employé de l’Arag­o­naise des eaux qui arpente la rue du Quarti­er des champs avec un détecteur pour savoir d’où provient la fuite qui inonde ma chauf­ferie (il ne trou­ve pas).

Maison

 Comme dis­ent les vieux: “Oh! Je bricole…”.

Nocturnes

Des écol­iers mon­tent dans le train. Celui qui m’ap­proche par­le ain­si : “Vous avez une demi-heure, nous serons tous là”. Il me tend un livre écrit dans une langue incon­nue, me fait com­pren­dre que j’au­rai à par­ler des Tarahu­maras. Dans une demi-heure? “Oui, répond l’é­col­i­er, les bus qui con­duisent nos cama­rades sont en route”. Que sais-je de ces Indi­ens? Je m’ef­force de réca­pit­uler mes con­nais­sances (survi­en­nent dans le rêve les noms de Car­los Cas­tane­da et Antonin Artaud, mais aus­si celui de mon ami Tol­do de Mex­i­co D.F.). J’imag­ine un dis­cours général sur les eth­nies pré-colom­bi­ennes, me remé­more les arti­cles sur­réal­istes pub­liés dans l’Ex­cel­sior, la cor­re­spon­dance de William Bur­roughs… Puis je bute sur un obsta­cle : le livre que m’a remis l’é­col­i­er est écrit en Tarahu­mara. — C’est du cyrillique, s’écrie l’un des écol­iers. — Idiot, le reprend son cama­rade, c’est du latin ! Me tour­nant vers eux, je tranche: “c’est de l’idéo­gram­ma­tique!”. Et dis­ant cela, je vois que je vais, en dépit des obsta­cles, tenir une con­férence sur les Tarahu­maras, qu’il suf­fi­ra d’at­tein­dre la classe avant les écol­iers et de pré­par­er mon dis­cours. Or, au même moment, je con­state que le train s’est arrêté en gare de Lau­sanne, que les portes sont ouvertes et que je ne sors pas- “Il faut sor­tir et rejoin­dre l’é­cole!”, me dis-je. Mais je ne sors pas. Ce rêve, je le fais autour de six heures le matin. Les trois heures suiv­antes  (je me lève à 9h30) sont passées dans le demi-som­meil à pré­par­er ce que je vais dire des Tarahu­maras dont en réal­ité je ne sais rien. 

Monpère

Me dis­ait: “Ceci n’est pas cher, il faut l’a­cheter. Achète-le!” Blou­son, meu­ble, cahi­er, marteau dont je n’avais aucun besoin.

Fatigue

Fatigué. Excès de sport (vélo, Krav Maga)? De bois­son (Skol et vin)? De soli­tude (face aux écrans, aux livres) ? D’écri­t­ure (cor­rec­tions de Sosiété)? De cir­cu­lar­ité (faire et refaire ce que je fais pour le per­fec­tion­ner)? D’oc­cu­pa­tions (liste trop longue)? Encore que la fatigue ne demande pas de raison.

Chose

Nom­mer “chose” une chose est large­ment au-dessus des capac­ités de l’homme moyen. Cela sig­ni­fierait qu’il n’est que ce qu’il est. 

Issue

D’is­sue, il n’y en a pas. Il n’y a que des idées bien faites qui font douter un temps sur la nature de l’issue.

Sur la construction

Dans ses pages de jour­nal des années 1960, Julien Green note: “Quand l’homme essaie de se faire un par­adis, c’est en général pitoy­able. Il réus­sit beau­coup mieux dès qu’il s’ag­it de fab­ri­quer un enfer à l’usage du prochain.” Volon­taire­ment, je sors ces quelques mots de leur contexte.

Joie

Une de mes plus grandes joies est de con­stater: “où je suis, comme je suis, pen­dant plusieurs heures rien ni per­son­ne ne peut m’atteindre”.

Vélo

Val­lée de la riv­ière Estarún ce dimanche matin. Le froid est vif, l’eau limpi­de sur la roche déchi­quetée. Nous roulons à bonne allure, changeant nos posi­tions au gré de la con­ver­sa­tion. D. chante en “bearnés” une comp­tine qui racon­te le départ pour le front d’un paysan en 14–18 lorsque trente vau­tours sur­gis­sent d’un défilé. Jamais vu tourn­er un si grand nom­bre d’an­i­maux près de ma tête. En descente les corps sem­blent énormes. J’aperçois le plumage ser­ré, gris et mar­ron, puis d’un tire d’aile les oiseaux remon­tent au ciel. Nous roulons à 30 km/h. Nous décro­chons devant un pan­neau qui annonce le hameau haut per­ché de Tiesas. Distance:1 km, la pente la plus sévère est à 18%. Quelques min­utes plus tard, nous atteignons essouf­flés une vieille ferme, un abreuvoir et une chapelle. Au loin, le pic de l’Aspe est blanc de neige. Mes cama­rades nom­ment chaque lieu-dit. Retour dans le fond de la val­lée, puis nou­velle mon­tée vers un vil­lage haut per­ché. Sin­ués, quelques dizaines d’habi­tants dans une citadelle de pierre. Notre cama­rade le maire d’A­grabuey con­naît le vieil­lard qui se tient au milieu de la rue (que pou­vait-il bien faire seul, debout, en silence, avant l’ar­rivée de notre pelo­ton?). Les deux hommes regret­tent que cette année les ban­quets n’aient pu se tenir sur la place, ils par­lent des recettes de fêtes (pain de mie frot­té) et des dernières battues (hécatombe de san­gliers). Nou­veau retour dans la val­lée. Un dernier col tracé au milieu des pinèdes nous ramène au vil­lage. Nous buvons du vin sur la ter­rasse de notre bar, devant le canal. Le soleil éclaire enfin, des portes claque­nt dans les ruelles, chaque voiture qui passe est l’oc­ca­sion d’un salut.