Au nom de quoi la Justice rend-elle aujourd’hui la justice?
Mois : avril 2021
Carson McCullers
“Un soir, un homme m’a suivie dans l’escalier et a voulu me prendre dans ses bras. Je l’ai repoussé avec une telle violence qu’il a valsé contre le mur, et je me suis barricadée dans cette chambre solitaire, avec le sentiment d’être entourée d’hommes menaçants et déséquilibrés. Je passais mes journées chez Macy’s, dans une cabine téléphonique, où je me sentais en sécurité, mais, la nuit venue, retour de l’horreur et de l’insomnie.” Illuminations et nuits blanches (autobiographie).
Naturel
Mon voisin Bolín, soixante-sept ans, vêtu d’une salopette usée, à son côté un chien à barbe coiffé comme il l’est, en pagaille. Barman avant de prendre sa retraite, ce dont témoignent les poches sous les yeux . Il y a quelques années, il rentre du travail tard dans la nuit, ivre et plus que ivre. Au croisement de la nationale et de notre route des Vallées occidentales des Gardes civils embusqués l’interceptent. Incapable de tendre à travers la vitre abaissée les papiers qu’exigent les gardes, il bafouille, il divague. Soudain, ignorant l’ordre des gardes qui lui intiment de rester à bord du véhicule, il ouvre la portière et descend : “laissez-moi, je dois pisser!”. Les gardes désignent la forêt. Bolín entre dans la forêt, ne revient pas. Il rentre au village en passant par le col. Le lendemain, les gardes se présentent à sa porte. Encore ensommeillé, il leur dit : “donnez le ballon, je vais souffler.”. L’amende qu’il reçoit sanctionne un “stationnement interdit”.
Routine
Lissé au stuc les bas de parois mangés par l’humidité. Auparavant, j’avais dégagé à la spatule le plâtre creusant sans mesure la vieille farine; bien mal m’en a pris, car enlever est plus facile qu’ajouter. Trois heures à parfaire les mélanges et tartiner. J’avoue, il s’agissait d’abord de trouver une bonne excuse pour ne pas reprendre les corrections de Sosiété. Pourquoi? Je l’ignore. Rigoureux, j’ai tout de même passé une heure à remodeler le texte avec, il faut le dire, de bons résultats. Toujours impressionné de voir combien évolue la phrase pendant le travail de réécriture. Et aussi, il pleut. J’allume deux poêles, je refroidis mes bières, à l’heure des apéritifs, quatorze heures et vingt et une heures, je sors sur mon pas de porte, bavarde avec le paysan et le guide. Ensemble nous regardons le ciel, nous constatons: il pleut. La journée finit, je cuisine une morue aux lentilles, ouvre une bouteille de Somontano, met à l’écran un combat de la ligue Bellator quand j’apprends par le maire — déjà dit — que le périmètre de sécurité nouveau restreint encore nos droits de mouvement, mais, c’est important de le noter, progrès de la terreur oblige, cette fois il n’est même plus allégué de raison à cette décision de police.
Honte (4)
En avril dernier, soit début 2020 — il faut mentionner les hommes d’honneur — l’écrivain Daniel de Roulet, invité à participer en ligne aux Journées de Soleure refusait et accompagnait son refus d’une lettre ouverte aux autorités faisant état de l’impossibilité pour la culture d’exister sans un débat des vivants (ce sont mes mots, pas les siens). Immédiatement, je le félicitais de cette prise de position. Peu après, nous dînions à Lausanne. Nos différents (j’ai en horreur le néo-marxisme) ne m’empêchent pas d’admirer quelqu’un qui passe sans ambages, tandis que tous se tâtent et protègent leurs arrières, de l’opinion à l’acte.