Mois : avril 2021

Vice de forme

 Au nom de quoi la Jus­tice rend-elle aujour­d’hui la justice?

Destin

Aucun des pas­sagers ne con­nais­sait la des­ti­na­tion du bus, mais le mes­sage affiché en cab­ine ne lais­sait pas de doute quant à la règle: “inter­dit de par­ler au con­duc­teur sous peine d’amende”. 

An 2 (XXIV)

Inter­dit de sor­tir à l’ex­térieur de chez soi. Mais si ce qui nous appar­tient, notre mai­son, notre apparte­ment, notre intérieur, sont trans­for­més en prison, alors ils ne nous appar­ti­en­nent plus: les pris­ons appar­ti­en­nent tou­jours à l’Etat.

An 2 (XXV)

 Abo­li­tion pro­gres­sive des caté­gories dedans/dehors.

Familles

Fasciné par la belle sim­plic­ité des familles telles qu’elles se mon­trent aux yeux de ceux qui veu­lent croire à la belle sim­plic­ité des familles.

An 2 (XXIII)

Quand tout change, com­ment se peut-il que l’on entende dire sans cesse “tour va revenir à la nor­male”? Un repli du présent sur le passé. His­torique­ment, a‑t-on jamais con­staté cela?

Carson McCullers

“Un soir, un homme m’a suiv­ie dans l’escalier et a voulu me pren­dre dans ses bras. Je l’ai repoussé avec une telle vio­lence qu’il a val­sé con­tre le mur, et je me suis bar­ri­cadée dans cette cham­bre soli­taire, avec le sen­ti­ment d’être entourée d’hommes menaçants et déséquili­brés. Je pas­sais mes journées chez Macy’s, dans une cab­ine télé­phonique, où je me sen­tais en sécu­rité, mais, la nuit venue, retour de l’hor­reur et de l’in­som­nie.” Illu­mi­na­tions et nuits blanch­es (auto­bi­ogra­phie).

Naturel

Mon voisin Bolín, soix­ante-sept ans, vêtu d’une salopette usée, à son côté un chien à barbe coif­fé comme il l’est, en pagaille. Bar­man avant de pren­dre sa retraite, ce dont témoignent les poches sous les yeux . Il y a quelques années, il ren­tre du tra­vail tard dans la nuit, ivre et plus que ivre. Au croise­ment de la nationale et de notre route des Val­lées occi­den­tales des Gardes civils embusqués l’in­ter­ceptent. Inca­pable de ten­dre à tra­vers la vit­re abais­sée les papiers qu’ex­i­gent les gardes, il bafouille, il divague. Soudain, igno­rant l’or­dre des gardes qui lui inti­ment de rester à bord du véhicule, il ouvre la por­tière et descend : “lais­sez-moi, je dois piss­er!”. Les gardes désig­nent la forêt. Bolín entre dans la forêt, ne revient pas. Il ren­tre au vil­lage en pas­sant par le col. Le lende­main, les gardes se présen­tent à sa porte. Encore ensom­meil­lé, il leur dit : “don­nez le bal­lon, je vais souf­fler.”. L’a­mende qu’il reçoit sanc­tionne un “sta­tion­nement interdit”. 

Routine

Lis­sé au stuc les bas de parois mangés par l’hu­mid­ité. Aupar­a­vant, j’avais dégagé à la spat­ule le plâtre creu­sant sans mesure la vieille farine; bien mal m’en a pris, car enlever est plus facile qu’a­jouter. Trois heures à par­faire les mélanges et tartin­er. J’avoue, il s’agis­sait d’abord de trou­ver une bonne excuse pour ne pas repren­dre les cor­rec­tions de Sosiété. Pourquoi? Je l’ig­nore. Rigoureux, j’ai tout de même passé une heure à remod­el­er le texte avec, il faut le dire, de bons résul­tats. Tou­jours impres­sion­né de voir com­bi­en évolue la phrase pen­dant le tra­vail de réécri­t­ure. Et aus­si, il pleut. J’al­lume deux poêles, je refroidis mes bières, à l’heure des apéri­tifs, qua­torze heures et vingt et une heures, je sors sur mon pas de porte, bavarde avec le paysan et le guide. Ensem­ble nous regar­dons le ciel, nous con­sta­tons: il pleut. La journée finit, je cui­sine une morue aux lentilles, ouvre une bouteille de Somon­tano, met à l’écran un com­bat de la ligue Bel­la­tor quand j’ap­prends par le maire — déjà dit — que le périmètre de sécu­rité nou­veau restreint encore nos droits de mou­ve­ment, mais, c’est impor­tant de le not­er, pro­grès de la ter­reur oblige, cette fois il n’est même plus allégué de rai­son à cette déci­sion de police. 

Honte (4)

En avril dernier, soit début 2020 — il faut men­tion­ner les hommes d’hon­neur — l’écrivain Daniel de Roulet, invité à par­ticiper en ligne aux Journées de Soleure refu­sait et accom­pa­g­nait son refus d’une let­tre ouverte aux autorités faisant état de l’im­pos­si­bil­ité pour la cul­ture d’ex­is­ter sans un débat des vivants (ce sont mes mots, pas les siens). Immé­di­ate­ment, je le félic­i­tais de cette prise de posi­tion. Peu après, nous dînions à Lau­sanne. Nos dif­férents (j’ai en hor­reur le néo-marx­isme) ne m’empêchent pas d’ad­mir­er quelqu’un qui passe sans ambages, tan­dis que tous se tâtent et pro­tè­gent leurs arrières, de l’opin­ion à l’acte.