Mois : janvier 2021

Agrabuey

Le vil­lage est de glace. Rues lis­sées par le gel, pavés luisants, toits blan­chis. Les vis­i­teurs de Saragosse sont repar­tis. Fin de la fête. An neuf. Silence pro­fond. La route est fer­mée: depuis ven­dre­di le chas­se-neige ne déblaie plus le col. Au sor­tir de la nuit, je me main­tiens entre les draps, retar­dant mon lever — midi. Déje­une, puis retourne à mon roman picaresque. Mer­veilles des équili­bres naturels, en ce début d’après-midi, alors que je tire une chaise de teck sur la pelouse enneigée pour prof­iter du soleil pen­dant l’écri­t­ure, l’oiseau à poitrine orange pique le pain émi­et­té devant mon pied. Je sif­fle, il répond. Il sif­fle, je réponds. Sauf quand j’a­vance un chapitre tortueux. Car il faut alors un tan­ti­net de concentration.

Rappel

N’ou­blions pas: ce que l’on inter­dit ne prend forme réelle d’in­ter­dic­tion que pour autant que l’on s’y conforme.

Party

Et c’est encore peu dire: je me réjouis qu’il y ait des jeunes, au milieu de ce cloaque, pour avoir la témérité d’or­gan­is­er des raves tech­nos. Rien moins qu’une œuvre de salut publique. Qu’ils soient remerciés!

Glissement

Ils prirent fait et cause pour des gens con­nus qui avaient, du jour au lende­main, changé d’opin­ions et de comportement.

Dès-autointoxication

 N’ou­blions pas: nous allons mourir. Dés lors, il faut vivre.

19

Le cap sera franchi lorsque nous inter­dirons, au nom de la vérité, la lec­ture de 1984 de Georges Orwell.

Monstres

Cet acte médiocre qui est mon­tré vaut plus que cet acte excep­tion­nel qui est caché, d’où un engoue­ment général pour la monstration.

Asia

Cette année nou­velle, cela fera trente-huit ans que je me rendais pour la pre­mière fois en Asie du Sud-est. Avant d’y voy­ager une fois, deux fois par an. Cette nuit, je rêvais d’une ter­rasse de bistrot à Bat­tam­bang-Cam­bodge. Penché sur mon cahi­er d’écri­t­ure, suant sous le ven­ti­la­teur, occupé à grat­ter le papi­er à l’aide d’un mau­vais sty­lo, je suis dérangé par des routards descen­dus d’une camion­nette de “sight­see­ing”. Ils s’in­stal­lent à ma table, lorgnent sur mon tra­vail. Atten­dent. Atten­dent encore. Puis remar­quent: “lui aus­si est en orange, il est de nôtres! Tu es de quelle secte? Puna?”. Calme, décidé, j’ar­rête l’écri­t­ure, me ren­gorge: “si je suis en orange, c’est par hasard, je n’ai rien à vous dire. D’ailleurs je n’ai rien à dire à per­son­ne, c’est pourquoi j’écris.” Et ceux-ci de répon­dre : “Nous devons chang­er de l’ar­gent.” Alors, moi: “je sais où aller, ne vous faites pas avoir, je vous emmène!”. Puis me lev­ant, je vois l’é­tat de la rue, d’habi­tude mul­ti­tu­di­naire (celle du marché, au cen­tre de Bat­tam­bang), devant moi déserte et pense: l’Asie est foutue!