Billiard (fin)

Réfugié en Croat­ie, c’est bien. Ici, les gens ont encore un peu de juge­ment. Ils ne s’af­fo­lent pas. Ils ont vécu. S’ils red­outent l’avenir c’est à la lumière du passé. Entre eux et eux-mêmes, pas de spec­ta­cle numérique, de show san­i­taire, de délire poli­tique. Seule­ment le temps se fait long. Un peu plus, je serais déprimé. Cela vaut pour tout le monde j’imag­ine: en avril, on nous enfer­mait. Six mois plus tard, nous sommes encore enfer­més. Plus seule­ment à domi­cile, dans nos villes, dans nos rues. Moi qui me plaît à fustiger l’ab­surde social des Suiss­es, je suis obligé de le recon­naître: les Espag­nols sont allés beau­coup plus loin. Le mon­di­al­iste Sanchez et le stal­in­ien Igle­sias imposent des con­di­tions dras­tiques au peu­ple sur la foi d’un comité d’ex­perts invis­i­ble (depuis le début de la mal­adie, les noms sont cachés et pro­tégés — n’est-ce pas fou?). Donc, je ne sais plus où aller. Plus que faire. Con­tin­uer de regarder des par­ties de bil­lard en atten­dant que Gala sorte de sa cham­bre (elle passe par­fois dans le couloir) ou ren­tr­er à Agrabuey. Soudain, c’est sassez. J’an­nonce que nous par­tirons le lende­main. Je pré­pare mon argent (il faut pay­er le loy­er, la bière bue en ter­rasse et l’huile achetée au paysan, au total neuf cent francs), vais voir les sœurs, règle la note, puis me ren­fonce dans le canapé: dans douze heures, en voiture.