Drôle d’ambiance en ville. Le soleil sort, des hommes viennent sur les terrasses. Le soleil s’en va, les hommes aussi. Quant aux boutiques de la rue piétonne, si les boulangeries et la pharmacienne tiennent les horaires, les autres commerçants, bijoutier, lingerie, quincailler ouvrent quelques heures, puis vont faire la sieste, reviennent, hésitent, s’en vont. Plus tard le ciel se brouille, les goélands crient. Les dalles de la place sont luisantes d’eau, l’air saturé de sel. En face, devant la mairie, un fonctionnaire débranche le Portique de stérilisation (je doute qu’il ait jamais fonctionné; que faisait-il, asperger le visiteur d’alcool?; un objet pour le décor; le voici donc rendu à sa fonction, qui est nulle). Je traîne un peu au lit, vais à la cuisine, puis je passe un short, un bonnet, lace mes chaussures de course. En bas, sur la terrasse du Versailles, je trouve Uwe, l’écrivain juif. C’est le seul client. Penché sur son portable, il travaille un livre sur la chanson yiddish. Sa femme est toujours en Pologne, interdite de voyage. Lui passera l’hiver en Istrie. Il dort dans sa caravane, boit des Capuccinos au Versailles, fume et rédige. “J’avais une tournée de lectures en Europe, mais bon… voilà…”. Annulée? “Oui.” En attendant, il ne semble avoir besoin de personne. “J’ai 80 livres dans la caravane”. Le genre d’interlocuteurs qui pose les questions, fait les réponses, parle de soi, de ses projets, de son entourage et quand vous tentez de lancer la conversation, revient sur ses projets, son entourage, son livre… Je m’élance devant le bateau de bois Adriatica qui arbore le slogan “Visit the beautiful islands‑7 days team building”. Petit trot le long du quai jusqu’au parc à enfants et je quitte la marina, coupe au bout de la presqu’île par l’hôtel abandonné (une tour d’immeuble au milieu des pins), m’engage sur le chemin qui traverse les villages de vacances. Six villages de vacances l’un derrière l’autre, grands comme de vrais villages, avec chaque fois des immeubles de vacances, des bassins bleus, des clubs Mickey, des courts de tennis, des discothèques Vegas, des cafés Illy et des piscines d’eau de mer. Trente-cinq minutes. Sans croiser un vivant. Si, un cantonnier. La mine basse, il souffle des feuilles près d’un Fitness grillagé. Je continue. Petit trot. En fait, le maximum. Plus, je ne peux pas. Les jambes sont lourdes, le souffle court. A la hauteur d’un casino soviétique aux arches de béton rouge, je décide de rebrousser chemin. Umag n’est plus en vue ni même la tour d’hôtel; or, elle se trouve à quatre kilomètres de l’appartement. Un moment, je doute si je ne suis pas allé trop loin; si je vais avoir la force de rentrer. Revenu une heure plus tard sur la Plaza Venetia, je fais en sorte d’être vu par les sœurs (“je-ne-suis-pas-malade!”), et monte. Dans le canapé, devant un autre de ces interminables tournois de billard de la Coupe d’Ecosse, j’avale une Lâsko, puis me traîne au lit, enfin dans la baignoire, sombre, dors deux heures. Le lendemain, plus trace de la maladie.