Egarés dans Zurich. Comment faire aussi faux? La fatigue? Le peu de motivation? La pluie? A l’heure dite, nous parvenons toutefois à retrouver les manifestants sur le bord du Lac où doit être organisé un pique-nique avant la tenue de la manifestation principale contre les mesures gouvernementales liées à l’épidémie, dans l’après-midi, sur Helvetiaplatz. Douze cars de police, soit deux cent éléments casqués, bottés et flingués attendent. Qui ordonne à la petite cinquantaine de personnes présente de se disperser, de porter le masque, de se taire. Au porte-voix. Des médiateurs nommés “Forces de dialogue” viennent dialogue. Ils disent: “mettez le masque, taisez-vous, dégager, on comprend, mais nos camarades ne vont pas tarder à intervenir”. Ce qu’ils font: par groupe de trois, ils appréhendent au hasard et verbalisent. A dix-sept heures, sur le lieu de concentration, dans le Kreis 4, milles personnes gardées par les mêmes éléments bardés, bottés, armés. Quelle Suisse? Celle de Davos.
Mois : septembre 2020
Manifestation 2
Pluie continue sur la ville. Malgré la douceur automnale, les corps se recroquevillent. Les sacs déposés dans un hôtel qui fait dans le tourisme japonais et les travaux de nuit, nous partons à la recherche d’un bar, ne trouvons rien, revenons à la brasserie où des Suisse-allemands boivent sous un abri de fortune. Comme nous prenons place à la table commune, on nous demande pourquoi nous participons à la manifestation du lendemain. Alors le voisin, tout en nous félicitant, arrache les tickets de la main de la serveuse, prend les consommations pour lui. Nous rejoins Nolt. Un informaticien, fils d’une des anciennes amantes d’Evola aujourd’hui exilée dans une château portugais. L’homme est étrange, intelligent, nerveux, et vif et sympathique. Sataniste, sans le sou et ouvrier dans une usine de Donuts. Nous cherchons maintenant une salle à boire intérieure, mais avant de servir, le garçon qui tient le lieu exige de voir mon téléphone portable. Je n’en ai pas. Il se tourne vers Evola et Nolt qui disent comme moi. La patronne apporte le sien, scanne le code qui étiquette notre table: “nom, adresse, date de naissance, passeport!”. Je me lève, nous sortons. Or, ce régime est général. A l’entrée des établissements est affiché un tel nombre d’avertissements qu’il est difficile de voir à travers la vitre. Puis Evola a faim. Je l’ai dit, il n’y a que des fast-food, sorte de guichets semi-automatiques devant lesquels les clients font la file pour rejoindre un immigré qui met en boîte la nourriture; à votre charge de récolter la monnaie, les services, la serviette, le sel et de remplir votre gobelet à la machine. Ou alors des restaurants prétentieux et kitsch: ils sont bondés. L’un d’entre eux est oriental. Il dispose d’une table. Outre que je ne supporte plus la musique ni le caractère de ces gens depuis le début du schéma d’invasion de l’Europe, les prix sont aberrants. Retour dans la rue. Comme il se doit dans ce pauvre pays de Suisse, nous voici condamnés à s’aligner devant un pain de kebab. Pour moi, pas de viande, jamais dans ces endroits (où d’ailleurs, il n’y a pas de viande véritable). Donc des boulettes de graine dans de la pide. Bien sûr, je préférerai ne pas manger, mais aussi ne suis-je pas seul. Cependant, le propriétaire, un Turc adipeux nous souffle dans le cou. Il désigne la photographie qui s’affiche sur son téléphone: “je suis très connu”. En effet: la photo montre sa bouille telle qu’elle était apparue il y a quelques années dans tout le pays sur les affiches de la Société Générale d’Affichage. Le Turc se tenait fièrement à côté de son pain tournant. La légende: “vous me reconnaissez? Je suis Ali Kebab”. Une campagne payée par l’afficheur, destinée à attirer le regard des clients sur les emplacements d’affichage dont la demande était en berne. Un heure plus tard, Evola est malade. Il le sera pendant trois jours, occupé à serrer les fesses, jurant de massacrer ce Turc. Dernière halte avant la nuit une terrasse qui sert d’antichambre à un bordel. Les filles montent et descendent, des malabars gonflés à la pompe surveillent, quand je recule ma chaise: un grand malingre, percé et ivre, débarqué à vélo, tire de sa housse un sabre japonais qu’il fait virevolter dans les airs. J’alerte Evola qui répond avec nonchalance, “on le maîtrisera” (Monfrère m’apprend deux jours plus tard qu’il a lu un article racontant son arrestation).
Capacité
Situation neuve, ou du moins ce que l’on juge tel — rien de plus que des grains de sable dans l’engrenage. Mais on prend peur, cherche des points de repère, échoue à rétablir son équilibre (ce qui prouve qu’il était artificiel) et quémande auprès des autorités des conseils — que l’on trouve aussitôt puisqu’ils étaient, là, de longue date, préparés. Mais enfin, ne suffit-il pas de se regarder dans un miroir pour constater qu’étant de que l’on est, seul importe de demeurer dans son être? Ne suffit-il pas de dire “non”? Vingt ans que les idiots rompus aux règles fluctuantes de la pensée d’Etat me fustigent. “Fascisant” disent-ils, alors que je ne jure que par la démocratie. J’avoue ici avoir chaque jour plus de doutes quant à la capacité du commun à incarner ce modèle politique.
Manifestation
Kreis 4, quartier rouge de Zurich, il pleut, nous cherchons notre hôtel situé au 26, Brauaerstrasse. A son habitude, Evola arrête les passants. Dix fois il demande sa direction. Son allemand est faible, celui des habitants aussi (peu ou pas de Suisses). Puis, à notre époque, qui connaît encore le nom des rues? A midi, nous sommes rendus. Trop tôt pour accéder aux chambres d’hôtels. Nous mangeons un hamburger sur assiette (la ville entière est livrée aux enseignes de fast-food). En face, le Swiss Brewery hotel, deux immeubles au volets bleus. Le plus proche possède au rez-de-chaussée une brasserie. Autour errent des ivrognes, des maquereaux et des putes, un travelot promène son chien, un triste spectacle de joie refroidie. A quatorze heures tapantes, nous traversons la rue. L’hôtel est automatique, ce qui signifie qu’il n’est pas desservi par des humains. Pour déverrouiller la porte d’entrée, il faut introduire un code dans la machine. Pour obtenir sa clef de chambre, il faut introduire un code dans la machine. Evola a oublié le sien. La direction envoie un lien sur votre messagerie, vous accédez à un site, celui-ci vous attribue un code. Il faut internet, nous n’avons pas. J’ai mon code. Je l’introduis dans la machine — qui le refuse. Un étudiant italien: “je ne sais pas”. Un Philippin: “ne me parlez pas de ce cauchemar!”. Une masseuse, résidente de l’hôtel: “je vous fais volontiers entrer, mais après? Il vous faudra la clef de la chambre.” Sur le côté de la machine, un numéro de téléphone. Un répondeur déroule sa bande: “la direction vous envoie un mail, ce mail contient un lien, vous cliquez sur le lien, notez votre code, une fois devant notre hôtel, vous introduisez le code dans la machine…”. La bande s’arrête. Et recommence. Il pleut toujours, nous sommes détrempés. A la brasserie, la patronne tend un feuille et s’excuse: “pour boire une bière, il faut donner son nom, ce sont les nouvelles règles”. Elle apporte un téléphone, compose le numéro de l’hôtel. Au bout du fil, un Pakistanais qui parle l’anglais avec l’accent du sous-continent. D’ailleurs, il semble que l’ayons réveillé, il doit être à Bombay ou à Karachi. J’épelle mon nom. Réponse: vous avez réservé pour le mois de septembre et nous sommes en août. J’épelle le nom d’Evola: même constat, un mois d’avance. Le Pakistanais raccroche, Evola s’emporte: “c’est impossible! Nous avons réservé séparément”. Dégoûté, je me contente de hocher la tête et de boire mon bock de Hürlimann. Repartir pour Lausanne sans attendre la manifestation du lendemain, voilà la meilleure solution. De fait, nous venons de perdre Fr. 220.- et nous n’avons pas où dormir.