Manifestation 2

Pluie con­tin­ue sur la ville. Mal­gré la douceur autom­nale, les corps se recro­quevil­lent. Les sacs déposés dans un hôtel qui fait dans le tourisme japon­ais et les travaux de nuit, nous par­tons à la recherche d’un bar, ne trou­vons rien, revenons à la brasserie où des Suisse-alle­mands boivent sous un abri de for­tune. Comme nous prenons place à la table com­mune, on nous demande pourquoi nous par­ticipons à la man­i­fes­ta­tion du lende­main. Alors le voisin, tout en nous félic­i­tant, arrache les tick­ets de la main de la serveuse, prend les con­som­ma­tions pour lui. Nous rejoins Nolt. Un infor­mati­cien, fils d’une des anci­ennes amantes d’Evola aujour­d’hui exilée dans une château por­tu­gais. L’homme est étrange, intel­li­gent, nerveux, et vif et sym­pa­thique. Sataniste, sans le sou et ouvri­er dans une usine de Donuts. Nous cher­chons main­tenant une salle à boire intérieure, mais avant de servir, le garçon qui tient le lieu exige de voir mon télé­phone portable. Je n’en ai pas. Il se tourne vers Evola et Nolt qui dis­ent comme moi. La patronne apporte le sien, scanne le code qui éti­quette notre table: “nom, adresse, date de nais­sance, passe­port!”. Je me lève, nous sor­tons. Or, ce régime est général. A l’en­trée des étab­lisse­ments est affiché un tel nom­bre d’aver­tisse­ments qu’il est dif­fi­cile de voir à tra­vers la vit­re. Puis Evola a faim. Je l’ai dit, il n’y a que des fast-food, sorte de guichets semi-automa­tiques devant lesquels les clients font la file pour rejoin­dre un immi­gré qui met en boîte la nour­ri­t­ure; à votre charge de récolter la mon­naie, les ser­vices, la servi­ette, le sel et de rem­plir votre gob­elet à la machine. Ou alors des restau­rants pré­ten­tieux et kitsch: ils sont bondés. L’un d’en­tre eux est ori­en­tal. Il dis­pose d’une table. Out­re que je ne sup­porte plus la musique ni le car­ac­tère de ces gens depuis le début du sché­ma d’in­va­sion de l’Eu­rope, les prix sont aber­rants. Retour dans la rue. Comme il se doit dans ce pau­vre pays de Suisse, nous voici con­damnés à s’align­er devant un pain de kebab. Pour moi, pas de viande, jamais dans ces endroits (où d’ailleurs, il n’y a pas de viande véri­ta­ble). Donc des boulettes de graine dans de la pide. Bien sûr, je préfér­erai ne pas manger, mais aus­si ne suis-je pas seul. Cepen­dant, le pro­prié­taire, un Turc adipeux nous souf­fle dans le cou. Il désigne la pho­togra­phie qui s’af­fiche sur son télé­phone: “je suis très con­nu”. En effet: la pho­to mon­tre sa bouille telle qu’elle était apparue il y a quelques années dans tout le pays sur les affich­es de la Société Générale d’Af­fichage. Le Turc se tenait fière­ment à côté de son pain tour­nant. La légende: “vous me recon­nais­sez? Je suis Ali Kebab”. Une cam­pagne payée par l’af­ficheur, des­tinée à attir­er le regard des clients sur les emplace­ments d’af­fichage dont la demande était en berne. Un heure plus tard, Evola est malade. Il le sera pen­dant trois jours, occupé à ser­rer les fess­es, jurant de mas­sacr­er ce Turc. Dernière halte avant la nuit une ter­rasse qui sert d’an­ticham­bre à un bor­del. Les filles mon­tent et descen­dent, des mal­abars gon­flés à la pompe sur­veil­lent, quand je recule ma chaise: un grand mal­in­gre, per­cé et ivre, débar­qué à vélo, tire de sa housse un sabre japon­ais qu’il fait vire­volter dans les airs. J’alerte Evola qui répond avec non­cha­lance, “on le maîtris­era” (Mon­frère m’ap­prend deux jours plus tard qu’il a lu un arti­cle racon­tant son arrestation).