Manifestation

Kreis 4, quarti­er rouge de Zurich, il pleut, nous cher­chons notre hôtel situé au 26, Brauaer­strasse. A son habi­tude, Evola arrête les pas­sants. Dix fois il demande sa direc­tion. Son alle­mand est faible, celui des habi­tants aus­si (peu ou pas de Suiss­es). Puis, à notre époque, qui con­naît encore le nom des rues? A midi, nous sommes ren­dus. Trop tôt pour accéder aux cham­bres d’hô­tels. Nous man­geons un ham­burg­er sur assi­ette (la ville entière est livrée aux enseignes de fast-food). En face, le Swiss Brew­ery hotel, deux immeubles au volets bleus. Le plus proche pos­sède au rez-de-chaussée une brasserie. Autour errent des ivrognes, des maque­reaux et des putes, un trav­elot promène son chien, un triste spec­ta­cle de joie refroi­die. A qua­torze heures tapantes, nous tra­ver­sons la rue. L’hô­tel est automa­tique, ce qui sig­ni­fie qu’il n’est pas desservi par des humains. Pour déver­rouiller la porte d’en­trée, il faut intro­duire un code dans la machine. Pour obtenir sa clef de cham­bre, il faut intro­duire un code dans la machine. Evola a oublié le sien. La direc­tion envoie un lien sur votre mes­sagerie, vous accédez à un site, celui-ci vous attribue un code. Il faut inter­net, nous n’avons pas. J’ai mon code. Je l’in­tro­duis dans la machine — qui le refuse. Un étu­di­ant ital­ien: “je ne sais pas”. Un Philip­pin: “ne me par­lez pas de ce cauchemar!”. Une masseuse, rési­dente de l’hô­tel: “je vous fais volon­tiers entr­er, mais après? Il vous fau­dra la clef de la cham­bre.” Sur le côté de la machine, un numéro de télé­phone. Un répon­deur déroule sa bande: “la direc­tion vous envoie un mail, ce mail con­tient un lien, vous cliquez sur le lien, notez votre code, une fois devant notre hôtel, vous intro­duisez le code dans la machine…”. La bande s’ar­rête. Et recom­mence. Il pleut tou­jours, nous sommes détrem­pés. A la brasserie, la patronne tend un feuille et s’ex­cuse: “pour boire une bière, il faut don­ner son nom, ce sont les nou­velles règles”. Elle apporte un télé­phone, com­pose le numéro de l’hô­tel. Au bout du fil, un Pak­istanais qui par­le l’anglais avec l’ac­cent du sous-con­ti­nent. D’ailleurs, il sem­ble que l’ayons réveil­lé, il doit être à Bom­bay ou à Karachi. J’épelle mon nom. Réponse: vous avez réservé pour le mois de sep­tem­bre et nous sommes en août. J’épelle le nom d’Evola: même con­stat, un mois d’a­vance. Le Pak­istanais rac­croche, Evola s’emporte: “c’est impos­si­ble! Nous avons réservé séparé­ment”. Dégoûté, je me con­tente de hocher la tête et de boire mon bock de Hür­li­mann. Repar­tir pour Lau­sanne sans atten­dre la man­i­fes­ta­tion du lende­main, voilà la meilleure solu­tion. De fait, nous venons de per­dre Fr. 220.- et nous n’avons pas où dormir.